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Mediapart
Un chirurgien de l’AP-HP cherche à vendre aux enchères la radio d’une blessée du 13-Novembre
Article mis en ligne le 23 janvier 2022

Le chirurgien Emmanuel Masmejean a mis en vente sur un site d’enchères pour 2 700 dollars la radio d’une survivante du Bataclan, sur laquelle on voit une balle de Kalachnikov. Après l’appel de Mediapart, il a retiré le prix dans son annonce. L’AP-HP qualifie la publication du professeur Masmejean de « problématique, choquante et indécente ».

OpenSea est la principale plateforme de vente et d’achat des NFT, ces « jetons non fongibles » qui servent aux transactions d’œuvres d’art sur Internet. Parmi les artistes mondialement connus qui vendent leurs productions aux enchères sur OpenSea, on trouve Takashi Murakami ou Damien Hirst. Il y a aussi d’autres vendeurs beaucoup moins célèbres comme Emmanuel Masmejean. Sa page intitulée « EmmanuelMasmejean Collection » ne propose qu’un article, qu’il vient de mettre en vente « jusqu’au 19 février 2022 » pour la modique somme de 2 776,70 dollars.

Une œuvre d’art unique, donc, et d’un genre très douteux.

La radio d’un membre humain dans lequel on distingue nettement le long de l’os une munition. Elle a pour titre « Bataclan terrorist attack – November 13, 2015 – Paris, France ». (...)

Il a effectivement opéré des victimes des attentats de Paris (même si le dossier d’instruction ne porte pas trace de l’opération qu’il revendique sur la jeune femme à l’avant-bras blessé). (...)

Contacté par téléphone vendredi en fin d’après midi alors qu’il se trouvait pour quelques jours à San Francisco, le professeur Masmejean éclate de rire quand on lui expose l’objet de notre appel. « Cette image, je ne l’ai pas vendue ! D’ailleurs, je ne suis pas sûr de la vendre. » S’ensuit un long argumentaire sur les NFT qui permettront à l’avenir, selon lui, d’assurer par exemple la traçabilité des implants de prothèse. On lui fait remarquer qu’on ne voit pas bien le rapport avec le fait de mettre en vente une image tirée d’un dossier médical d’une victime d’un attentat. Il répond qu’il utilise le crypto-art « dans une vocation pédagogique, pour intéresser les gens ».

Mais alors pourquoi demander une rémunération ? « Sur OpenSea, on ne peut que mettre en vente ! Je regrette de l’avoir fait. Cette expérience n’est pas concluante, cela ne me satisfait pas. D’un point de vue éthique, je me suis moi-même posé la question... Si vous voulez me faire dire que c’est une erreur, c’est peut-être une erreur. En plus, ça m’a coûté de l’argent, c’est complètement débile ! » La question de sa rémunération semble un point sensible pour le professeur Masmejean. Sur sa page LinkedIN, le chirurgien s’est aussi plaint ces derniers jours du trop peu d’argent que rapporte l’activité libérale à l’AP-HP. Sans compter « l’argent volé par l’AP-HP » sur les droits d’auteur concernant les publications scientifiques.

Quant à avoir demandé l’autorisation préalable de l’AP-HP pour utiliser la radio, il répond que non (...)

Et l’autorisation de la patiente ? « Non, je n’ai pas demandé l’autorisation à la personne concernée », reconnaît Emmanuel Masmejean, qui certifie que la victime n’est pas identifiable. On lui lit les informations, figurant dans la description de son œuvre, qui comportent plusieurs éléments d’identification.

« Je ne savais pas que que c’était présenté comme cela, assure-t-il.

— C’est vous qui l’avez écrit, lui fait-on remarquer.

— Oui, j’ai fait des conneries. Ce qui est écrit là est une erreur, je l’assume », concède-t-il.

Quelques minutes après avoir raccroché, le professeur envoie un message annonçant qu’il a « annulé la vente ». L’annonce est toujours sur OpenSea mais cette fois sans tarif, alors qu’une demi-heure plus tôt, il assurait que ce n’était pas possible.

Contacté vendredi, l’AP-HP nous a répondu samedi midi par mail (voir la réponse intégrale dans l’onglet Prolonger). Elle rappelle avoir « particulièrement veillé à préserver l’ensemble des patients pris en charge dans ses hôpitaux [après le 13-Novembre] des risques d’exploitation de leur image ».

L’AP-HP qualifie la publication du professeur Masmejean « particulièrement problématique, choquante et indécente » (...)

« cette action est contraire au code de déontologie et va conduire l’AP-HP […] à saisir l’ordre des médecins. L’intéressé sera convoqué pour qu’il s’explique et que l’ensemble des suites à donner puissent être appréciées ».