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Centre Primo Levi
Tribune « La récurrence de la suspicion »
Article mis en ligne le 13 avril 2018

La politique d’accueil part d’un principe : le réfugié ment. Cette présomption rend encore plus difficiles ses démarches administratives et ajoute de nouveaux symptômes aux traumatismes liés à l’exil témoigne un collectif de psychiatres, psychologues, psychothérapeutes et psychanalystes, dans une tribune publiée sur le site du Monde le 4 avril 2018.

Au quotidien, nous soignons des patients réfugiés. Ce sont des adultes seuls, en couple ou en famille, ce sont des mineurs isolés et des enfants. Ils sont originaires des Balkans ou du Caucase, d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, du Maghreb ou du Proche-Orient. Ils sont tous demandeurs d’asile, déboutés de cette protection, des sans-papiers ou bénéficiaires de certains titres de séjour.

Ils souffrent de psychotraumatismes, voire de traumatismes physiques, à la suite des violences subies ou des menaces encourues : arrestations arbitraires, emprisonnements, tortures, viols, harcèlements, humiliations. Sans avoir pu bénéficier de la protection des autorités de leur pays.

S’ils se considèrent « chanceux » d’avoir pu partir et pour certains « d’être arrivés », quelquefois après un parcours migratoire à lui seul traumatisant, ils découvrent vite l’accueil indigne qui leur est réservé.

Ce que notre expérience professionnelle auprès de ces personnes nous apprend, c’est que cet accueil n’est pas respectueux de la dignité humaine. Cet accueil reste indigne en raison d’un paradigme qui domine, influence et conditionne toute la politique d’accueil : la présomption de mensonge, qui repose sur tout demandeur d’asile et le place d’emblée dans une position d’imposteur et non de victime potentielle.

Parcours du combattant

Sous ce prisme, de nombreuses demandes d’asile sont rejetées au motif que les menaces et persécutions alléguées sont « improbables », voire falsifiées. Mais surtout, c’est sur ce paradigme que repose toute une machinerie juridico-administrative qui fait de la demande d’asile un véritable parcours du combattant, avec un impact négatif et destructeur sur la santé psychique de nos patients.

Et parce qu’il repose sur cette présomption de mensonge, le projet de loi sur un « droit d’asile effectif » [projet de loi Collomb « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », présenté le 21 février en conseil des ministres] constitue une aggravation de cette politique mise en place, rappelons-le, depuis des décennies, par les gouvernements précédents.

Oserait-on, par exemple, écouter sans égard une femme victime de viol, en suspectant d’emblée qu’elle est une simulatrice ? C’est pourtant ce qui arrive à la majorité de nos patientes victimes de viol.

Cette image illustre le fondement de notre politique d’accueil : le traumatisme du réfugié n’est pas pris en compte, alors même qu’il demande des conditions d’accueil et d’écoute spécifiques.

Un récit en français (...)

Comment peut-on en arriver là ?

Il y a une logique : lors de l’instruction de la demande, ni la fonction de l’officier de protection ni celle du juge de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ne consistent à soutenir le réfugié dans son discours douloureux. Il s’agit de détecter si son parcours est avéré et s’il peut être authentifié.

Dans de nombreuses situations vécues, c’est le jugement subjectif qui s’est substitué au droit, ainsi qu’à une instruction approfondie. Les caractéristiques du droit dans ce domaine, donnent à l’intime conviction des juges, comme des officiers au premier examen, un rôle exceptionnel dans la décision. Dans les notifications de rejet, il y a souvent des expressions remettant en question la bonne foi des personnes.

Là encore, c’est la présomption de mensonge qui domine. Même nos certificats médicaux et attestations de suivi psychologique restent très souvent insuffisants pour étayer le témoignage, apporter un questionnement ou provoquer un doute pouvant se traduire par une demande d’expertise supplémentaire, en vue d’une instruction plus approfondie.

Une forme de contamination

C’est ainsi que sont fabriqués nos patients sans papiers : ils deviennent alors automatiquement des exilés économiques ou thérapeutiques, venus profiter et abuser du système de protection sociale ou de santé français. Donc expulsables. (...)

Des solutions politiques existent, notamment européennes. L’une d’elles a été évoquée dans une tribune de ce journal, le 16 janvier, en proposant de confier l’octroi de l’asile à un office européen indépendant des Etats. Elle repose néanmoins sur l’abandon de cette présomption de mensonge et sur un changement radical de paradigme au profit d’un accueil respectueux de la dignité des personnes réfugiées.

Digne, car respectueux de la prise en compte de leur vie psychique.