
Les professionnels dont la mission est d’accompagner vers l’insertion par le travail des personnes atteintes de handicap psychique, se trouvent placés dans une situation pour le moins paradoxale, dans une société handicapée par un chômage massif : cinq millions de demandeurs d’emploi...
Mission impossible ? Eh bien non.
Les trois établissements invités à la table ronde « Insertion au travail des personnes en situation de handicap ou de précarité » organisée par l’UNAFAM et animée par Dorothée Dutour, directrice de Réadaptation, déploient une improbable mais efficace stratégie, consistant à adapter le travail au sujet souffrant de handicap psychique. Dans le monde de l’entreprise, on cherche plutôt, d’habitude, au nom de l’ incontournable pression de la compétitivité-rentabilité, à attendre du salarié qu’il s’adapte quoi qu’il lui en coûte. On sait combien ce coût peut être écrasant.
Comment une telle subversion est-elle possible ?
Par un travail d’accompagnement du sujet tout au long de son parcours d’insertion professionnelle (soit dans le milieu ordinaire, c’est la mission de Cap Emploi, soit dans le milieu protégé, c’est la mission de l’ESAT Descartes). Tant en période de préparation du projet (bilan de compétences, formations, ateliers) que lors de l’insertion en entreprise. Il s’agit de favoriser la compétence et la confiance en soi. En milieu protégé, les symptômes qui persistent un peu ne sont pas un problème : le fait de se concentrer sur le travail a un effet plutôt bénéfique. Le critère le plus gênant est la désorganisation cognitive (l’ESAT Descartes met en place un atelier de Remédiation Cognitive pour en diminuer l’impact).
Par un partenariat individualisé avec les institutions du secteur chargées du soin.
Par un travail conséquent d’accompagnement des entreprises. Le handicap psychique est le plus discriminatoire à l’embauche. Il faut donc sensibiliser les employeurs pris par la peur de ce qu’ils ne connaissent pas et influencés par ce que véhiculent les médias : ils craignent essentiellement le manque de compétence et se représentent le handicap psychique comme un frein important dans leur recherche de compétitivité et de rentabilité. Beaucoup de pédagogie est donc nécessaire, ainsi que des aménagements de poste et l’identification au sein de l’entreprise d’ un tuteur, à la fois en appui technique, et pour faire lien entre la personne et l’ensemble du dispositif de travail. C’est souvent ce qui garantit la pérennité de l’emploi. l’ESAT Descartes met toujours en avant auprès des entrepreneurs une compétence professionnelle pointue et fiable. Reste à veiller à ce que les usagers soient recrutés sur des postes compatibles avec l’adaptation au travail : à l’inverse des entreprises on adapte le travail, en le décortiquant, de façon à ne mettre personne à l’écart. Et cela fonctionne bien.
La stratégie de l’association AMIRE consiste à mettre en place des groupes auto-organisés de personnes ayant des problèmes en commun et volontaires pour une démarche d’entraide fondés sur la coopération et l’échange. Un appui technique permet de résoudre collectivement des problèmes individuels. L’animateur n’apporte pas de contenu, il est là pour faire émerger des initiatives quand les gens prennent confiance.
Le but affiché est l’insertion professionnelle. Mais il faut que le travail soit inclus dans un projet de vie, à définir avant le projet de travail. On n’acceptera alors que des « compromis nobles », qui font grandir, et pas de compromis qui font perdre l’estime de soi.. L’intervention d’un médecin du travail est très importante. Même s’il n’y a pas de méthode miracle pour le handicap psychique, des groupes d’entraide pour des personnes bipolaires suivies par l’association Métamorphose se mettent en place.
Pour les trois institutions, le pronostic est favorable dans la mesure où on parvient à
Réassurer les professionnels sur la possibilité d’un accès au travail
Réassurer les entreprises – réticentes autour du handicap psychique
Réassurer la personne porteuse d’un handicap
Tout cela s’inscrivant dans l’accompagnement individualisé d’un parcours personnel.
Sans doute bien des difficultés subsisteront et certains parcours resteront plus problématiques. Toutefois il apparaît clairement que nous avons à réviser notre conception du travail – que ce soit le travail salarié ou le travail indépendant : l’adaptation du travail au Sujet est compatible avec la compétence et porteuse d’amélioration de la santé psychique. C’est une bonne nouvelle dans un monde où l’on ne cesse de constater les dégâts – physiques et psychiques – de l’adaptation à marche forcée réclamée par un management violemment stressant aux objectifs de l’Entreprise et du « Marché » érigés en maîtres.
Article paru dans le N° 74 de Reliance pour Renovation