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Le Monde
Thomas Sankara, l’écologiste
Article mis en ligne le 11 janvier 2020
dernière modification le 10 janvier 2020

« Thomas Sankara, l’immortel » (3/5). Conscient que la protection de l’environnement était une urgence, le capitaine burkinabé tenait à révolutionner l’agriculture de son pays.

La classe est silencieuse, le sujet retient l’attention. « Si vous consommez n’importe quoi, vous allez tomber malade, explique Blandine Sankara, fondatrice de Yelemani (« changement » en langue dioula), une association qui a pour but de promouvoir la souveraineté alimentaire et la culture bio au Burkina Faso. Qu’avez-vous mangé hier ? » Sur la quarantaine d’élèves de cette classe du collège de Noungou, un village rural d’un millier d’habitants situé à 25 kilomètres au nord de Ouagadougou, près de la moitié des enfants a pris du riz, un quart s’est nourri de tô, le plat national qui se compose d’une pâte à base de mil ou de sorgho, et le reste de couscous, de haricots… (...)

La souveraineté alimentaire, dont le concept a été présenté en 1996 par la Via Campesina, un mouvement paysan international lors d’un sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), se définit par « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables. » Cet objectif est au cœur du projet de l’association Yelemani qui dispose sur la commune de Loumbila, à quelques encablures de Noungou, d’une ferme agricole de deux hectares. Dans un cadre idyllique sont cultivés, selon des méthodes respectueuses de l’environnement, des bananes, des tomates, des courgettes, des choux, des oignons…

La rencontre avec Pierre Rabhi

« La production est vendue sur les marchés ou sur demande à des particuliers, explique Blandine Sankara, sociologue de formation ayant suivi des études en développement à Genève. Par différentes actions, nous sensibilisons les villageois et les élèves à l’agroécologie. Nous militons pour l’indépendance alimentaire et c’est une forme de combat politique. » En 2015, avant que la situation sécuritaire ne se dégrade fortement dans le nord et l’est du Burkina Faso, près de 100 000 paysans dans ce pays de quelque 20 millions d’habitants pratiquaient l’agriculture biologique. (...)

Au « pays des hommes intègres », l’agroécologie ne date pas d’hier. Une importante réforme agraire a été lancée pendant la révolution de Thomas Sankara, frère aîné de Blandine, qui a dirigé le pays de 1983 jusqu’à son assassinat en 1987. « Le combat de mon frère est devenu le mien », assure-t-elle. Pour le mener, le président révolutionnaire s’est adressé à un paysan inconnu à l’époque mais déjà converti à l’agriculture écologique : Pierre Rabhi. (...)

« J’ai rencontré un homme de grande valeur, se souvient l’agriculteur, aujourd’hui installé en Ardèche. Il y avait en lui de la rectitude, du pacifisme et de l’humanisme. Thomas Sankara avait aussi ce qui fait défaut à la plupart des hommes politiques : une intégrité absolue. Il se souciait de son peuple et souhaitait un changement de logique dans le rapport nord-sud. Il était l’homme qu’il fallait pour l’Afrique. » (...)

« Le président Sankara avait compris qu’il fallait dissocier l’agriculture et la chimie, explique Serge Bayala, secrétaire du Mémorial Thomas-Sankara et membre de différents mouvements citoyens. (...)

Au milieu des années 1980, la conscience écologique n’a pas encore émergé. Thomas Sankara est le premier président africain à avoir pris conscience que l’homme détruisait la planète et que la protection de l’environnement était une urgence. Il s’engage dans trois luttes : contre les feux de brousse « qui seront considérés comme des crimes et seront punis comme tel » ; contre la divagation du bétail « qui porte atteinte au droit des peuples car les animaux non surveillés détruisent la nature » ; et enfin contre la coupe anarchique du bois de chauffe « dont il va falloir organiser et réglementer la profession ». « Les conséquences de ces mesures ont été immédiates, se souvient Fidèle Toé, ministre du travail dans le gouvernement sankariste. Quelque temps plus tard, on a revu les biches venir s’abreuver dans les mares. »
Le reboisement, une priorité absolue

Thomas Sankara fait de la protection des arbres et du reboisement une priorité absolue. (...)

« Thomas Sankara a vaincu la faim. Il a fait que le Burkina, en quatre ans, est devenu alimentairement autosuffisant », dira Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de l’ONU.

L’agroécologie, qui est plébiscitée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) parce qu’elle préserve les ressources naturelles et diminue les pressions sur l’environnement (gaz à effet de serre, pollution des eaux…), apparaît aujourd’hui comme la seule alternative face à une agriculture industrielle qui détruit les écosystèmes. (...)