
Après la mort de ses collègues, Bérengère Musseau, logistienne à Médecins sans frontières, s’interroge : pourquoi, malgré les risques, les humanitaires s’engagent-ils ?
Quand le communiqué de Médecins sans frontières est tombé, confirmant la mort de deux membres de son personnel, tués suite à une fusillade fin décembre dans un bâtiment de l’organisation à Mogadiscio, Bérangère Musseau, ex-logisticienne à MSF rentrait tout juste d’Haïti. Philippe Havet, un coordinateur d’urgence expérimenté de 53 ans, travaillait avec MSF depuis 2000, et ce dans de nombreux pays dont l’Angola, la République démocratique du Congo, l’Indonésie, le Liban, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud et la Somalie. Et Andrias Karel Keiluhu, mieux connu sous le nom de "Kace", qui était un médecin de 44 ans. Il travaillait pour MSF depuis 1998, tant en Indonésie, dont il était natif, qu’en Ethiopie, en Thaïlande et en Somalie. Tournons vite cette page 2011, sans oublier. (...)
Tout comme Damien, autre collègue de cette promo Bioforce, mort en 2008 dans une voiture piégée en Somalie, Séb connaissait les risques de son métier et partait en connaissance de cause. Mais bon, tellement de pays encore à voir, de missions à réaliser, de fêtes, de moments de partage et d’amitié, à 30 ans, on a encore toute une vie à écrire… Pourtant, "Souriez vous êtes vivant", disait le mur d’en face de la maison de la coloc’ de Rétaud. Clin d’œil de Séb à nos états d’âmes de jeunes "humanitaires", de petits chercheurs de sens alors que nous nous enflammions sur l’état du monde et son devenir, autour d’un apéro en terrasse au soleil… (...)
La part de rêve de la visite de tous ces pays étrangers que nous proposait ce métier, le côté magique, presque surréaliste, de travailler avec plaisir tout en assumant les objectifs de nos associations respectives louables et respectables… Le bonheur également de s’engager dans une voie atypique, loin de schémas définis, peut-être en opposition – croyions-nous – à une société déréglée, une voie que le Pôle Emploi ne sait où ranger.
Aujourd’hui, finalement, je me pose la question de cet engagement. J’ai peut-être enfin pris la mesure de tous ces risques. Je le savais bien, mais ça n’est pas un jeu. Sincèrement Séb, je me demande juste aujourd’hui, si tout ça valait le coup. Le coût de ta mort, je veux dire.
Je pars maintenant pour une semaine à Port-au-Prince, accueillie par la Croix-Rouge, là même où tu étais le 12 Janvier 2010. Je voulais juste te le dire, vieille habitude de "bioforçats" de se signaler en arrivant sur un lieu jadis habité par un copain, d’ici que de là où tu es, la connexion soit possible…
"Souriez, vous êtes vivants !" (...)
On mélange tout sous la bannière humanitaire, un bon shaker de gens cadavériques, de témoignages larmoyants, un méchant qu’il faut abattre, un drapeau bleu blanc rouge étoilé en fond d’écran, et au milieu coule un bunker… Et notre engagement que nous n’arrivons même plus à décoder, à penser…
S’il fallait définir en une phrase l’état d’esprit des Haïtiens, deux ans après le séisme et un an après l’arrivée du choléra, j’emprunterais des mots à Séb : "Souriez-vous êtes vivants !"… De cette photo post mortem reçue via internet peu après son enterrement, on peut sans doute écrire un roman… Une histoire de vie d’humanitaire. Et pour les autres, assumer d’être des rescapés. "Souriez, nous sommes vivants."
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