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Marie-Claire
Stella Morris : Julian Assange, son amour, sa bataille
Article mis en ligne le 13 mai 2021

Elle est l’une des avocates de Julian Assange dans l’affaire Wikileaks. Elle est aussi devenue sa compagne et la mère de ses deux garçons. Alors qu’elle se bat pour empêcher l’extradition de celui-ci vers les États-Unis, où il est toujours considéré comme l’ennemi public n° 1.

(...) Alors qu’il était réfugié au sein de la représentation diplomatique équatorienne à Londres, le fondateur de Wikileaks traqué par la CIA pour avoir exposé au grand jour des documents confidentiels de l’armée et de la diplomatie américaine sur les crimes de guerre des États-Unis en Afghanistan et en Irak a réussi à conserver son secret plus de deux ans : il a eu deux enfants avec l’une de ses avocates, Stella Morris.

Et depuis l’arrestation de leur père par la police britannique, en 2019, Gabriel et Max continuaient d’aller lui rendre visite en toute discrétion à la prison de haute sécurité de Belmarsh, sur les rives de la Tamise. Mais au printemps dernier, alors que le coronavirus se répand, sa compagne écrit une lettre à la juge pour solliciter sa remise en liberté provisoire. La demande est refusée, tout comme celle de ne pas rendre publique son identité à elle.
Un amour né dans un espace truffé de caméras et micros

Après tant "d’immenses efforts pour protéger notre vie privée", cette exposition contrainte a finalement été "un soulagement", déclare Stella Morris. Elle se bat désormais devant les caméras du monde entier pour celui qui partage sa vie depuis six ans et pour permettre à ses enfants de grandir auprès de leur père. "Aujourd’hui, le vrai danger est qu’il soit extradé et que cela lui coûte la vie, toutes les autres considérations sont passées au second plan", nous explique la jeune femme de 38 ans lors d’un entretien en visioconférence depuis Londres. (...)

Il y a dix ans, ce n’est pas par amour que Stella Morris a rejoint l’équipe de défense de Julian Assange, mais par conviction. "J’ai grandi en Afrique du Sud. Mes parents militaient dans le mouvement anti-apartheid, ils ont été interrogés par la police, intimidés, et nous avons perdu un ami très proche, assassiné. Je n’avais que 2 ans mais c’est un évènement traumatisant dans l’histoire de ma famille. Mes références culturelles et politiques sont donc peut-être un peu inhabituelles."

En lisant les accusations, il était clair pour moi qu’il était innocent. (...)

Pour elle, la démarche de révélations de l’organisation dirigée par l’activiste australien représentait "une forme d’incarnation des valeurs occidentales". Alors, en 2011, lorsque l’avocate principale de Julian Assange cherche à renforcer son équipe pour traiter les accusations de viol et d’agression sexuelle qui le visent en Suède, Stella Morris, de son vrai nom Sara Gonzalez, répond présente. (...)

À partir de 2012, de peur d’être extradé vers la Suède, Julian Assange s’enferme dans l’ambassade d’Équateur. La jeune avocate s’y rend quotidiennement, planche sur la stratégie de défense, sert d’interprète en suédois et espagnol. Au fil du temps, "la dynamique a changé", dit-elle toute en retenue. Stella Morris lève vers le haut ses grands yeux sombres, marque une pause, avant de se lancer : "Nous avons appris à nous connaître. Nous avons choisi de passer plus de temps en tête-à-tête. À l’évidence, nous appréciions la compagnie de l’autre. La relation est devenue romantique."

Leur histoire d’amour naît donc dans un espace truffé de caméras et puis de micros posés par la compagnie de sécurité de l’ambassade, qui transmet les informations aux renseignements américains. Seuls quelques mètres carrés échappent à cet espionnage 24 heures sur 24. (...)

Pour protéger leur intimité, ils avaient installé une tente. Lorsque Stella tombe enceinte, elle l’annonce à Julian Assange en lui faisant passer discrètement un petit papier. Pour la naissance de Gabriel, son premier fils, en mai 2017, il assiste à l’accouchement à distance par vidéo. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le bébé est ensuite emmené une fois par semaine à l’ambassade aux yeux de tou·tes. C’est un ami, professeur de chinois, qui s’en charge en le faisant passer pour son propre enfant. Mais avec l’élection d’un président équatorien pro-américain et celle de Donald Trump en 2017, l’atmosphère derrière les murs en briques rouges de la représentation diplomatique devient de plus en plus angoissante. (...)

"L’Équateur cherchait n’importe quel prétexte pour expulser Julian de l’ambassade. Le personnel nous harcelait. J’avais peur pour sa vie. Je sentais que c’était très dangereux. Tout pouvait se passer." C’est là qu’un membre de la sécurité la prévient du projet de dérober la couche de Gabriel. Stella Morris est alors de nouveau enceinte. Elle en est à son sixième mois. Son médecin la met en garde : son niveau de stress risque de mettre en péril la grossesse. Fin novembre 2018, elle cesse ses visites.

À l’automne dernier, lors du procès en extradition de Julian Assange, un informaticien de UC Global, la société espagnole qui était en charge de la sécurité de l’ambassade, et un individu qui avait des parts dans l’entreprise, ont témoigné anonymement. Selon eux, des discussions d’un plan pour enlever ou empoisonner Assange ont eu lieu entre le directeur de l’entreprise et "les amis américains".
Assange, incarcéré à la prison de Belmarsh depuis 2019

En avril 2019, le fondateur de Wikileaks est finalement arrêté par la police britannique et incarcéré à la prison de Belmarsh, près de Londres, qui a l’un des régimes carcéraux les plus durs du pays. (...)

"L’environnement est étrange mais les enfants s’adaptent à tout. Je leur dis : ’Allons voir papa dans la grande maison.’"

Pour que la prison ne se transforme pas en cocotte-minute prête à exploser, l’administration pénitentiaire autorise davantage d’appels aux proches. Julian Assange leur téléphone plusieurs fois par jour. (...)

À travers le monde, nombre d’institutions, organisations de défense des droits de l’homme et des journalistes réclament la libération de Julian Assange et dénoncent un acharnement politique. "C’est une affaire assez extraordinaire par son côté abusif, elle va beaucoup trop loin", martèle Stella Morris. Mauvaise nouvelle, l’administration du nouveau président américain poursuit la politique de Donald Trump : alors qu’elle avait la possibilité d’abandonner les poursuites, elle a confirmé la volonté de les maintenir.

Le destin de Julian Assange, celui de Stella Morris et de leurs deux enfants sont à nouveau entre les mains de la Haute Cour britannique. Si la juridiction rejette l’appel des autorités américaines contre le refus d’extradition décidé en janvier, il sera libéré. Quand on lui demande si elle parvient à envisager le futur, Stella Morris reprend son souffle, répond pudiquement que "c’est dur" (...)