
Trop dur, trop de pression, trop de dettes. Les suicides se multiplient chez les paysans, qui ne savent plus comment survivre dans un système qui vise à leur disparition pour installer l’agro-industrie.
« Il y a deux semaines, on a appris, pour une famille. On n’avait jamais entendu parler d’eux, raconte Bernard (prénom changé), de l’association Solidarité paysans en Ille-et-Vilaine. La dame brûlait toutes les factures. Son mari, ses frères, personne ne se doutait de rien, tout semblait aller bien. Et puis, la dame a vu paraître, dans un journal agricole, l’avis de liquidation de leur ferme. Elle s’est suicidée. » Il y aussi l’agriculteur que Bernard a vu il y a quelques jours. « Son lait n’est plus collecté, mais il ne veut pas arrêter. Il avait mis de l’argent de côté, donc pour le moment, il reste avec ses animaux,mais il ne vend plus rien. Ca ne pourra pas durer longtemps comme ça. Je ne sais pas comment il va faire. »
Des faits-divers de plus, bons pour alimenter un article en bas de page du journal ? Des histoires comme celles-là, il y en a beaucoup. Elles ne relèvent plus de l’anecdotique et d’une question de personne. La Mutualité sociale agricole (MSA) a recensé près de 500 suicides entre 2007 et 2009, soit presque un tous les deux jours. Et ça ne s’arrange pas, les numéros verts mis en place chauffent sérieusement. (...)
« Les gens étouffent, il y a trop de pression, ils sont assaillis de toutes parts. Un des problèmes, c’est la paperasserie : des dossiers à remplir pour tout. Ça prend beaucoup de temps et les agriculteurs, c’est d’abord la terre, pas les papiers. Et puis, vous savez, pour remplir ces demandes d’aides de la PAC [Politique agricole commune], maintenant, ça va passer par Internet. Je peux vous assurer qu’avec ça, il y en a plein qui ne sauront pas faire. On va encore en perdre en cours de route, ils ne verront jamais la couleur des aides. » (...)
Dans les années 1960, le vocabulaire a changé : chef d’exploitation a remplacé agriculteur. Un glissement sémantique qui en dit long : la prise de risques, les responsabilités. En revanche, les avantages ne sont plus au rendez-vous : l’autonomie et la prise de décisions sont à ranger aux oubliettes. « C’est le burn out, l’épuisement au travail, explique Bernard. C’est ingérable, n’importe qui deviendrait fou avec autant de pression. » Il suffit de regarder l’endettement moyen pour s’en convaincre : plus de 150.000 euros, avec de forts écarts entre les différentes productions. Pour certains, ça va jusqu’à 300.000 euros d’endettement.
La pression vient de la terre : humidité, sécheresse, récolte, santé des animaux, vêlages difficiles. Elle vient de l’entreprise : les exigences de la laiterie, la négociation des contrats, les dossiers de demandes d’aides, les visites au centre de gestion comptable pour défiscaliser ce qu’on peut par l’achat d’un tracteur flambant neuf. La pression vient aussi du marché : la concurrence (...)
Chez les agriculteurs, on compte, on ne cause pas. Même lorsque l’on ferme la porte de chez soi. Il y a tout ce que l’on ne dit pas à cause de la pression familiale : la terre cédée est un héritage, un patrimoine dont il faut être à la hauteur. (...)
« Vous savez, quand nous, on arrive à aider un gars, c’est parce qu’il est devenu acteur, explique Bernard. C’est ça qui est le plus important, c’est qu’il ait le choix, qu’il décide lui-même de son modèle d’exploitation, de sa pratique du métier. Il n’y a pas une, mais des agricultures, il y a de la place pour tout le monde. Vous savez, aujourd’hui, parmi ceux qui s’installent, il y a en a de plus en plus qui n’ont qu’un mot à la bouche : autonomie. Autonomie par rapport aux coopératives, aux cours de la Bourse. »