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Trop chers et trop concurrencés, les fruits et légumes corses se font jeter
#Corse #agriculture
Article mis en ligne le 18 août 2025
dernière modification le 14 août 2025

En Corse, des tonnes de fruits et légumes locaux finissent chaque été à la poubelle. Concurrencés par des imports à bas prix, les agriculteurs insulaires, sans protection collective, voient leur travail partir en fumée.

« Quand il y a un souci, c’est le producteur qui trinque »

Cette situation, Jacques-François Geronimi, président du groupement des maraîchers corses, la dénonce inlassablement. « Certains distributeurs ne jouent pas le jeu. Ils préfèrent s’approvisionner ailleurs. Pas tous, heureusement. Mais on travaille souvent à la parole, sans contrat. Quand il y a un souci, c’est le producteur qui trinque. »

En Corse, il n’existe toujours pas de centrale d’achat pour les fruits et légumes locaux. Chaque agriculteur vend selon ses propres canaux, souvent informels : une supérette, un grossiste, un restaurateur. Ces accords de gré à gré tiennent sur des promesses, parfois brisées en pleine saison. Et lorsqu’une commande est annulée ou qu’un distributeur change d’avis, il est déjà trop tard. Les fruits n’attendent pas. « On donne ce qu’on peut aux associations, mais ça ne couvre ni les coûts ni le temps investi », explique Jacques-François Geronimi.

« Il n’y a pas photo sur le goût »

Pourquoi ces produits, pourtant réputés pour leur qualité, se retrouvent-ils invendus ? Le nerf du problème, c’est le prix. Une pêche corse se vend souvent autour de 3 euros le kilo chez le producteur. L’équivalent espagnol est proposé à 1,80 euro. Idem pour les courgettes, les tomates, les melons : l’écart est massif. À variété égale et selon les supermarchés, le prix va parfois du simple au triple pour la tomate. Et pour les consommateurs corses — dans l’une des régions au plus faible pouvoir d’achat de France — il devient décisif.

« Il faut comprendre les familles, surtout avec l’inflation. Quand vous devez nourrir quatre personnes, vous comptez chaque euro », dit Roch Napoli, négociant à Biguglia depuis plus de trente ans. Lui continue de privilégier les produits corses « parce qu’il n’y a pas photo sur le goût », mais il voit bien que les grandes surfaces, les cantines, les centres de vacances « vont là où c’est le moins cher ».

Le coût d’une filière de qualité

Moins de pesticides, plus de main-d’œuvre, des rendements plus faibles, une logistique plus complexe : produire localement coûte plus cher. En face, les productions venues du sud de l’Europe s’appuient sur des filières industrielles rodées, des volumes gigantesques, des conditions sociales souvent moins protectrices. À la fin, le marché choisit le prix.

En théorie, la Corse dispose de conditions idéales pour une agriculture de qualité : diversité des sols, ensoleillement, traditions vivantes. Mais dans les faits, elle reste prisonnière d’un système désorganisé. Il n’y a pas d’outil logistique mutualisé, pas de véritable politique alimentaire régionale, peu d’accompagnement à la structuration des filières. (...)

Prise de conscience

Du côté de la chambre d’agriculture de la Corse, qui regroupe depuis cette année les deux chambres départementales, on dit avoir pris conscience du problème. « On va demander une réunion à la rentrée de septembre, assure Jean-Baptiste Arena, le président. C’est vrai que les maraîchers ne sont pas structurés parce que je pense qu’ils n’ont pas réussi à s’entendre. Mais nous allons les aider. »

Une position partagée par l’Office de développement agricole et rural de la Corse. (...)

Car sans outil collectif, chaque exploitation affronte seule la pression du marché. Les risques sont portés par le producteur : il plante à l’aveugle, sans garantie, puis assume les invendus, la logistique, la casse. Un système épuisant, qui décourage les jeunes et fragilise les plus petits.
Les conséquences d’un système

Ce n’est donc pas seulement une affaire de fruits invendus. C’est le révélateur d’une impasse. Celle d’un territoire agricole sans protection, dans une région pauvre, soumise aux logiques du libre-échange. Ici, le local devient un luxe. Un paradoxe tragique, dans une île qui aspire à plus d’autonomie alimentaire. (...)