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Repas végétariens à l’école : les mères des quartiers populaires mènent la bataille
Article mis en ligne le 14 octobre 2019

Dans les quartiers populaires franciliens, des mères luttent pour que les cantines scolaires proposent des repas sans viande, plus écolos. Elles multiplient les actions mais peinent à se faire entendre et sont même accusées de « communautarisme ».

Chaque midi, la même inquiétude saisit Hafida. Le grand frère a-t-il bien récupéré le petit à l’école ? Ont-ils trouvé le repas préparé à leur attention dans le réfrigérateur ? « Je fais la cuisine le week-end pour toute la semaine afin qu’ils puissent déjeuner à la maison plutôt qu’à l’école, même si je travaille », explique la jeune maman.

À l’origine de ce casse-tête : la viande à la cantine, « industrielle, de mauvaise qualité, en trop grande quantité », résume cette habitante de Montreuil, qui se définit comme « flexitarienne ». « Chez nous, on mange très peu de viande, traduit-elle. On cuisine les légumes, les lentilles, les pois chiches. » (...)

Avec d’autres parents, Hafida, Lila et Anissa se battent pour « l’alternative végétarienne de qualité ». Autrement dit, « nous demandons que les enfants aient le choix à l’école entre un plat carné et un plat sans viande mais avec des protéines végétales », précise Anissa, qui insiste sur le « libre choix ». « L’école doit être inclusive et respecter les convictions de chacun et chacune, il n’est pas normal qu’on impose à nos enfants de manger de la viande à chaque repas ». Un avis partagé par Laure Ducos, chargée de la campagne Alimentation de Greenpeace (...)

Leur lobbying a en partie porté ses fruits : à partir du 1er novembre prochain, la loi imposera aux restaurants scolaires de proposer un menu sans viande par semaine. Certaines villes, comme Saint-Étienne, Fontenay-sous-Bois ou Strasbourg ont pris les devants et proposent une option végétarienne quotidienne à tous les enfants qui le demandent.

Mais à Bagnolet comme à Montreuil, « on a beaucoup de mal à se faire entendre », regrette Anissa. Pourtant, depuis plus de trois ans, les parents n’ont pas chômé. Réunies au sein de deux associations Ensemble pour les enfants de Bagnolet (EEB) et Ensemble pour les enfants de Montreuil (EEM), elles ont multiplié les lettres aux élus, participé à des réunions, organisé des conférences sur l’alimentation, lancé des piques-niques végétariens et des ateliers pédagogiques pour les petits. Rien à faire. (...)

« Le débat ne porte pas sur l’alternative végétarienne mais sur le communautarisme », regrette Fatima. Végétarienne de longue date, elle a d’abord essayé, il y a près de quatre ans, de lancer la discussion au sein de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), dont elle faisait partie [1] « J’étais sensible aux enjeux écologiques, et l’alternative végétarienne de qualité me semblait aller dans le sens de l’intérêt de tous les enfants », raconte-t-elle. En dépit des réticences qu’elle a senti immédiatement, elle a insisté. « Quand enfin j’ai pu aborder la question, on m’a répondu que les parents dont je semblais parler n’étaient pas représentatifs, qu’il s’agissait d’une revendication communautariste, écrit-elle sur son blog. Dans le compte-rendu d’une réunion, alors que jamais je n’avais prononcé le mot ‘halal’ (puisqu’il ne s’agissait absolument pas de cela), et que j’avais toujours demandé un ‘débat sur l’alternative végétarienne’, il était noté que je demandais un ‘débat sur le halal’. »
« On est enfermés dans des débats sur la laïcité, alors que ce n’est pas la question » (...)

Dégoûtée, Fatima a donc participé à créer EEB puis EEM, « véritables bouffées d’oxygène ». Les deux associations portent désormais les combats écologiques et sociaux des habitants des quartiers populaires : l’alimentation, mais également l’accès aux espaces verts, le lien intergénérationnel, les méfaits du numérique…

« Malgré tout, on a reçu beaucoup de mépris, la Mairie nous a mis des bâtons dans les roues, estiment les mamans. On nous disait qu’on avançait masquées, avec des motivations islamistes. » Pour désamorcer cette critique, elles ont réalisé un sondage auprès des parents d’élèves : à Bagnolet, 96 % des personnes interrogées étaient favorables à l’alternative végétarienne, « pour que chacun ait le choix de ce qu’il mange ». Elles se sont également rapprochées des associations nationales, et ont organisé des événements avec Greenpeace, l’association de protection animale L214 ou l’AVF, « sans jamais recevoir le soutien de la FCPE, malgré les invitations répétées », précisent-elles. (...)

L’alimentation scolaire, un enjeu important des élections à venir

Finalement, fin 2018, la Fédération de parents d’élèves a organisé une soirée consacrée à l’alimentation à la cantine, « avec un focus sur la viande industrielle », « après nous avoir entravées et méprisées ces dernières années lorsque nous étions pionnières sur ces mêmes enjeux, écrit Fatima dans son billet de blog. Jamais la FCPE 93 n’aurait osé récupérer ainsi un combat mené par une association de parents si ces parents n’étaient pas issus de l’immigration post-coloniale. Ce sont toujours les mêmes que l’on pille. » (...)

La FCPE 93 n’a pas répondu à nos demandes d’interview. La mairie de Bagnolet défend quant à elle des améliorations « progressives » des repas scolaires. (...)

La municipalité a aussi lancé une « concertation avec la communauté éducative » (enseignants, agents, parents d’élèves) en vue de lancer un nouveau marché public d’ici les municipales. Car l’alimentation scolaire sera, à n’en pas douter, un enjeu important des élections à venir. Les associations EEB et EEM lancent donc, ce samedi 12 octobre, une campagne de plusieurs mois pour « faire pression sur les candidats », et « les pousser à se positionner sur l’alternative végétarienne ». Ce soir, elles organisent une « Rencontre nationale » à ce sujet, avec Greenpeace, Attac et l’AVF . (...)

« L’école doit être le lieu de l’éducation au goût, à l’alimentation, pense aussi Anissa. L’alternative végétarienne permet d’ouvrir ce débat. » Le chemin est encore long, mais les mamans d’EEB ne se découragent pas :

On se bagarre avec nos petits poings, on prend pas mal d’uppercuts mais on est toujours debout, parce qu’on se bat pour nos enfants ».