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Rentrée scolaire : "C’était soit partir, soit rester dans le bateau et couler", racontent d’anciens enseignants qui ont démissionné de l’Education nationale
Article mis en ligne le 2 septembre 2022

Le nombre de démissions de professeurs a été multiplié par quatre en quelques années en France. Le manque de reconnaissance, de la hiérarchie et de la société, est notamment pointé du doigt.

Solange est catégorique : "A terme, je me serais transformée en professeure aigrie et ce sont les élèves qui en auraient pâti." Ancienne institutrice, elle a décidé de quitter le métier en septembre 2019 après vingt ans de carrière dans l’Education nationale. Elle n’est pas la seule. Sur l’année scolaire 2020-2021, 2 300 enseignants ont démissionné, selon les chiffres du ministère révélés début juillet. Ils n’étaient que 804 quatre ans plus tôt.

Cette augmentation du nombre de démissions fait poindre des inquiétudes, à quelques jours de la rentrée scolaire, le 1er septembre. D’autant plus que quelque 4 000 postes n’ont pas été pourvus à l’issue des concours organisés en 2022, sur un total de 27 332 ouverts dans le public et le privé. Manque de reconnaissance, sentiment d’impuissance, lourdeurs administratives… Des enseignants nous racontent les raisons qui les ont poussés à jeter l’éponge. (...)

Pour Marie, ce burn out et l’arrêt maladie qui a suivi sont le résultat de plusieurs années de surmenage. Avec près de 30 élèves dans la même classe cette année-là, "je me retrouvais avec quatre niveaux différents. D’un point de vue pédagogique, je devais en faire toujours plus", se souvient l’ancienne enseignante de 43 ans. Le constat est le même pour Cindy, qui a enseigné pendant dix ans les mathématiques au lycée dans l’académie de Nancy-Metz. Une année, elle doit encadrer une classe de terminale S de 39 élèves. Pour elle, qui doit aller chercher des tables supplémentaires à chaque heure de cours, c’est mission impossible. (...)

"Je n’avais même pas deux minutes à accorder à chaque élève. Résultat : mon cours ressemblait à une heure de fac en amphi." (...)

De son côté, Erwan, ancien professeur d’histoire-géographie contractuel (employé par le rectorat) dans l’académie de Rennes, s’est retrouvé ballotté par un système d’affectation qui l’amenait à changer de niveau, voire d’établissement, presque tous les ans. (...)

Pour de nombreux enseignants, les tâches administratives, "de plus en plus nombreuses", viennent aussi rallonger les journées de travail. La constitution de dossiers et l’organisation de réunions dans le cadre de sorties ou de projets spécifiques sont très chronophages. De même, ils déplorent un manque de moyens qui les empêche d’accompagner correctement les élèves en situation de handicap dans le cadre de l’école inclusive que le gouvernement veut mettre en place. (...)

La pression engendrée par ces responsabilités finit par devenir difficilement supportable, décrit Solange. "On a toujours cette angoisse qu’un jour, ça ne se passe pas bien. Ça a fini par me manger."
"Zéro reconnaissance"

Une fatigue renforcée par le mépris exprimé par le reste de la société. "Ça va, tu as 18 heures de cours par semaine, de quoi tu te plains ?", "De toute façon, tu as plein de vacances"... Ces remarques, Solange les entendait presque systématiquement lorsqu’elle était enseignante. Elle évoque même le "petit sourcil qui se lève" et le "sourire en coin" sur les visages de ses interlocuteurs à chaque fois qu’elle parle de son métier. Pour elle, et pour une bonne partie des enseignants, les stéréotypes sur la profession sont épuisants au quotidien. "Il faut systématiquement se justifier, prouver que oui, en fait, on travaille vraiment", s’offusque-t-elle.

L’intégralité des professeurs interrogés pointe par ailleurs du doigt un "lien de confiance brisé" avec la hiérarchie, jugée "pas assez présente" pour son personne (...)

Il y a aussi la question du salaire, jugé trop bas et "pas du tout valorisant" par la plupart des enseignants que franceinfo a interrogés. (...)

Sentiment de solitude

Parfois, c’est à peine entrés dans le métier que les enseignants, fraîchement diplômés, se résignent à le quitter. "Une fois le concours passé, on nous confie une classe sans préparation ni conseil", témoigne Julie, qui n’a exercé que quelques mois en tant que professeure des écoles dans l’académie d’Orléans-Tours. (...)

"La réalité du terrain est très différente de ce qu’on apprend à l’école. J’aurais attendu des astuces, des conseils concrets sur comment enseigner en classe, mais rien n’est venu." Jordan*, ancien professeur des écoles, à franceinfo (...)

Le jeune instituteur de 27 ans ne sera malheureusement jamais titularisé. "A force de ne plus savoir à qui m’adresser, je me suis dit que ça n’allait jamais marcher", conclut-il, l’air désolé

"Face à un mur"

Bien souvent, les enseignants ne réalisent l’ampleur de leur souffrance qu’au moment où elle se répercute sur leur santé. (...)

Dans les faits, les solutions offertes restent limitées, fait valoir Agnès. "Nous avons l’impression de nous heurter à un mur", affirme Céline, ancienne institutrice.

Face à ce mur, certains décident alors de rendre leur tablier. "C’était soit partir, soit rester dans le bateau et couler avec. J’ai sauvé ma peau", résume Marie d’un air résigné. Aujourd’hui, ils et elles sont apicultrice, inspectrice, comédien ou encore apprenti libraire. "Epanouis" et "beaucoup moins fatigués", presque tous admettent repenser à leur métier d’enseignant et à leurs élèves. (...)

Avec du recul, tous en arrivent à la même conclusion : ils ne sont pas partis à cause du métier, mais bien d’un système dysfonctionnel, une "grosse machine" qui les a usés.