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Régis Debray, l’Éducation nationale et les immigrés
Article mis en ligne le 29 juin 2015

(...) c’est avec une certaine stupéfaction que nous avons pris connaissance du texte proposé aux élèves pour la partie d’éducation civique du Diplôme national du Brevet 2015. Extrait de La République expliquée à ma fille, déclinaison d’une série éditoriale à succès, celui-ci est de la plume de Régis Debray. On sait sa parole écoutée et relayée – notamment sur les questions scolaires depuis son rapport de 2002 consacré à l’enseignement laïque du fait religieux. Il a été au demeurant auditionné en mai par la commission sénatoriale sur le service public de l’éducation. Par ailleurs, invité lors de la matinale de France Inter en avril dernier, il déclarait « ne pas vouloir d’une école qui reproduirait les vices du monde extérieur ». Soit.

Mais c’est tout le contraire qui a été donné à lire : le texte est en effet emblématique des flottements sémantiques à l’œuvre de manière insistante depuis des années. Nos élèves n’y échappent pas tant ils boivent ce qui partout circule. Nous nous permettrons donc une petite leçon à l’attention des destinataires de ce billet, en pointant seulement les dernières lignes afin de nous contenter de l’essentiel comme l’institution nous y invite si souvent :

« Et les immigrés du Maghreb et d’Afrique, ils ont bien des droits car ce sont des êtres à part entière non ? »
« Oui ils ont tous leurs droits civils et personnels. Par exemple, le droit de se marier, de léguer leurs biens, d’adopter un enfant, de témoigner en justice. Les règles qui protègent le citoyen français contre l’arbitraire, l’immigré en bénéficie aussi : on ne peut pas perquisitionner la nuit à son domicile entre 21 heures et 6 heures du matin. Il a les mêmes droits sociaux qu’un citoyen français. Un travailleur étranger peut participer à l’élection du comité d’entreprise, des caisses de la Sécurité sociale et des conseils des Prudhommes. […] Le droit de participer à la vie des institutions, d’être éligible à l’Assemblée, de rendre la justice au nom du peuple français, c’est autre chose. Les droits politiques réclament partout certaines conditions d’exercice. »

Faisons simple.

À la question posée par sa « fille », Régis Debray aurait été inspiré de rappeler au préalable une chose : il convient de distinguer la situation des immigrés étrangers et celle des immigrés ayant obtenu la nationalité française. Car rappelons-le à toutes fins utiles : « étranger » se dit d’une personne qui ne possède pas la nationalité du pays où elle se trouve et réside, quand « immigré » renvoie, comme sa racine le signale, au fait de s’être déplacé d’un pays à l’autre. On peut donc être étranger sans avoir migré et surtout, cas le plus fréquent, être immigré mais non plus étranger. Autrement dit et pour être certain que les choses soient claires : ce qui préside à l’accès aux droits, ce n’est pas le fait d’être immigré ou non, mais étranger ou non. Et encore pourrait-on préciser que tous les étrangers n’ont pas les mêmes droits puisque les ressortissants de l’Union européenne bénéficient de droits que les autres n’ont pas. (...)

Où l’on voit que tout le monde n’en a pas encore terminé avec l’imaginaire colonial. Quand on songe que ce texte est destiné à des enfants et adolescents, dont certains peuvent être enfants d’immigrés, on mesure la manière dont certains tiennent à l’écart – à l’insu de leur plein gré ? – tout un pan de la population et du peuple français.

Que de tels propos aient pu être choisis pour une épreuve d’éducation civique sanctionnant le « socle commun » est scandaleux – l’adjectif « commun » prenant alors une résonance pour le moins surprenante. On peut tout de même encore penser que même lorsqu’il s’agit de vulgariser et de parler aux filles et garçons de France, il y a certaines approximations et imprécisions qu’il importe d’éviter. Certains rétorqueront que c’est le temps du lycée que d’apprendre les distinctions, les nuances et par là la complexité – sauf que d’une part, les choses sont assez nettes et d’autre part, c’est faire bien peu de cas d’une question pour laquelle, dès le plus jeune âge, les mots sont importants tant il en va justement de la construction de la communauté politique. Il ne nous semble pas qu’il s’agisse là d’un petit sujet à traiter à la légère comme ce texte se le permet. Que Régis Debray et des éditeurs peu scrupuleux se fourvoient est une chose. Que l’Éducation nationale cautionne par le biais de l’examen du Brevet national des collèges de telles confusions est inadmissible. (...)

Une chose enfin de confirmée – on s’en doutait cela dit depuis longtemps : l’engagement de campagne de François Hollande d’accorder le droit de vote aux élections locales résidant en France depuis cinq ans a fait long feu et n’était qu’une promesse en carton.