Nous y sommes : dans quelques jours, les 17 et 18 juin 2013, l’Union européenne va décider d’engager les négociations avec les USA ! Des centaines de millions d’européens ne le savent pas encore mais leur activité professionnelle, leur consommation, leur vie, vont être livrés à des conditions totalement différentes de celles qu’ils connaissent aujourd’hui.
Si, par malheur le processus va jusqu’au bout, ce sera une catastrophe pour les salariés du continent. Encore pire que la situation que nous connaissons depuis l’élargissement de l’Europe à 10 pays en 2004.
Avec 50 états de plus, le destin démocratique de nos peuples va leur échapper davantage. Nos droits, notre niveau de vie vont reculer partout : seuls les superprofits des multinationales en bénéficieront.
Quelques personnalités et certains médias tentent timidement de braquer le projecteur sur la nécessité, dans cette négociation géante, de garantir « l’exception culturelle ». Cela veut bien dire qu’ils essaient de « sauver » une « exception » du désastre annoncé.
Ils n’ont pas tort mais leurs efforts sont voués à l’échec. L’exception culturelle est la pointe émergée de l’iceberg. Les enjeux de l’accord transatlantique entre l’UE et les USA sont d’une toute autre ampleur et l’exception culturelle ne doit pas servir de prétexte. Ce n’est pas parce que cette « exception » aurait été épargnée que l’accord serait pour autant acceptable.
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Le véritable enjeu de l’accord transatlantique : les normes
Ces normes sont juridiques, culturelles, financières, environnementales, sanitaires...
Il n’y a aucune possibilité de créer un « grand marché intérieur » entre les Etats-Unis et l’UE sans que ces normes soient standardisées.
Pascal Lamy, alors commissaire européen au Commerce extérieur, déclarait en 2004, que ces normes faisait l’objet d’une préférence collective et constituait « L’ensemble des choix opérés par les collectivités humaines en tant que collectivités ». Pascal Lamy semblait ignorer l’activité intense des lobbies d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique pour édicter ces « préférences collectives ».
Ces « préférences collectives », ces normes, concernent notre mode de vie dans de nombreux domaines. Quelques exemples permettront de le montrer.
L’environnement
L’extraction de gaz de schiste est autorisée aux Etats-Unis, interdite dans l’UE. Qui peut croire un seul instant que les Etats-Unis accepteraient la norme européenne et interdiraient cette extraction ?
L’alimentation
Le bœuf aux hormones, les poulets à la chlorine sont autorisés aux Etats-Unis et interdits en Europe. Qui s’alignera sur l’autre ? La Commission européenne vient de répondre en autorisant le nettoyage des carcasses de porc à l’acide lactique jusque là interdit en Europe. Le but est de s’aligner sur les pratiques des Etats-Unis pour faciliter la négociation de l’accord de libre-échange.
Les services publics
Le rapport du CEPII intègre dans les « autres services » aussi bien l’enseignement que la santé. L’existence de nos hôpitaux publics et celle de notre enseignement public devrait donc trouver un « compromis » avec les normes des Etats-Unis où le secteur privé est roi.
L’assurance
La confrontation entre le secteur des assurances des Etats-Unis et de notre pays aurait toutes les chances de mettre à mal nos mutuelles et les contrats qui ne peuvent pas (pour bénéficier d’avantages fiscaux substantiels) faire payer les souscripteurs en raison de leur état de santé.
La culture
L’ « exception culturelle » et les subventions publiques accordées à ce secteur risqueraient, elles-aussi, de faire les frais de l’accord. (...)
La portée d’un accord transatlantique pour la fixation des normes
Le rapport de Claude Revel[2], Conseillère du commerce extérieur de la France, à notre ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, affirme :
« L’accord UE Etats-Unis à venir sera un accord fondamental par sa portée juridique ; les enjeux en termes de régulation à venir sont énormes Le rapport de forces est favorable aux Etats-Unis ».
Ce rapport n’hésite pas à préciser que tous les secteurs sont concernés « Les industries, l’agriculture et l’agroalimentaire mais aussi de plus en plus de services, y compris traditionnellement publics en France ».
Le « traditionnellement » a le mérite d’indiquer clairement que les négociations pourraient parfaitement remettre en cause ce caractère public.
Ce rapport souligne également qu’il faut « prendre acte et tirer parti de la tendance vers la délégation de la règle au privé ». Il va même jusqu’à considérer favorablement le fait « que se développe un marché des professionnels de la norme privée ». Le message est clair : la détermination des « préférences collectives » chères à Pascal Lamy doit de plus en plus être confiée aux entreprises privées et aux professionnels de la… norme privée.
Ce rapport, enfin, attire l’attention sur le fait que cet accord devait s’imposer au reste du monde. Les simulacres de négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont plus de mise : ce sont aux Etats-Unis et à l’Union européenne d’imposer leurs normes.
Pareil diktat imposé au monde générera des tensions fatales avec d’autres « blocs » économiques, très dangereux dans le cas, par exemple, d’une bipolarisation avec la Chine.
Au lieu d’un monde multipolaire, la toute puissance d’un pole, constitué sauvagement de cette façon, menacera le reste de la planète et suscitera inéluctablement les cassures et les résistances. « Le capitalisme porte la guerre en son sein comme la nuée porte l’orage ». (...)
La Commission européenne avait refusé, jusqu’à l’été 2010, de divulguer quoi que ce soit des négociations en cours. Wikileaks l’avait fait et les médias s’étaient emparés du dossier. L’Acta n’avait pas survécu à ces révélations. Là encore l’« effet Dracula » avait joué à plein.
Instruits par des échecs, le gouvernement des Etats-Unis et la Commission européenne prendront toutes les précautions pour parvenir à leurs fins.
C’est dans notre dos, dans le secret, contre les parlements, les républiques, les peuples que va se négocier à haute dose et a haut niveau, l’ensemble de ces tractations pour mieux nous « plumer ». Il n’y a rien de bon à attendre de ce processus sinon la fin d’un projet européen, déjà mis à mal quand nous sommes passés de 15 à 27 états. Passer à 77 états dans ces conditions c’est la fin de tout projet de construction d’une Union européenne politique, économique et sociale. Il faut donc suspendre immédiatement les négociations.