
Nul·le ne peut encore soutenir avec force que l’image de l’Afrique en cette deuxième décennie du XXIe siècle est demeurée celle qui a été présentée, au reste du monde et aux Africain·e·s, le long du XXe siècle, voire jusqu’aux toutes premières années du XXIe.
En cohérence avec le choix fait de la définir par la dépense quotidienne (2 à 20 $ par personne), cette classe moyenne est essentiellement considérée comme une clientèle consumériste. La croissance soutenue du PIB africain, drainant celle supposée extraordinaire de la classe moyenne, a permis de juteux retours sur investissement, y compris dans l’importation des marchandises (...)
L’Afrique n’est-elle pas le lieu où, faute d’information et d’association de consommateurs et consommatrices pouvant contrôler la qualité sanitaire des produits alimentaires importés et vendus dans les supermarchés, l’industrie agroalimentaire peut déverser ses marchandises (ne respectant pas les normes sanitaires, de plus en plus laxistes, de l’Union européenne ou des États-Unis) bourrées de sucre, de sel, de matières grasses, de microbulles (dans les crèmes glacées), de Bisphénol A dans les emballages, de ractopamine, d’ethoxyquine et autres merdes chimiques dont l’utilisation comme ingrédients n’est justifié que par la recherche d’une marge toujours grande de profit, solidarité patronale aidant ?
Les douanes africaines auraient-elles été en mesure, comme leur collègue chinoise de déceler de la matière fécale dans les tartes au chocolat exportées par la firme suédoise Ikéa ? Avec la faiblesse de son pouvoir d’achat, la tranche flottante de la classe moyenne trouve souvent son compte dans les « occasions d’Europe » (discount) et dans les marchandises brésiliennes, chinoises, indiennes. Au-delà des boutiques dans les marchés populaires, on en trouve aussi désormais, de qualité relativement différente, dans des supérettes. Les normes hygiéniques ne sont pas non plus contrôlées, eu égard à certains scandales alimentaires chinois pendant ces dernières années.
Dans cette célébration propagandiste néolibérale, la grande quantité de téléphones portables consommés en Afrique est érigée en preuve, censée être irréfutable (eu égard à sa réitération), de la croissance extraordinaire de la classe moyenne, donc de l’amélioration du bien-être des Africain·e·s. (...)
l’usage du téléphone portable s’est étendu à toutes les classes sociales en Afrique, comme ailleurs. En Afrique, où le courrier postal est devenu quasi inexistant suite à la privatisation ou la restructuration des entreprises d’État – dont les Postes et Télécommunications –, dictée par l’ajustement structurel néolibéral, le téléphone portable est arrivé à point nommé, aussi en supplantant les petits services d’appel téléphonique et cabines téléphoniques sur réseau fixe – le coût de l’installation à domicile étant en général assez prohibitif – en expansion dans de nombreuses villes africaines. Par ailleurs, l’usage du téléphone mobile ne nécessite qu’une instruction basique : savoir lire des chiffres, composer des numéros et pouvoir les identifier … Des ethnologues évoqueraient en plus la tradition orale africaine (n’ayant pas toutefois inventé la radio…), comme facteur d’un usage particulièrement fréquent. (...)
L’importance quantitative de la consommation des téléphones portables ne s’explique pas que par l’engouement d’une certaine jeunesse africaine pour internet, la possibilité de s’en servir pour le transfert d’argent dans certaines sociétés d’Afrique orientale, mais aussi et surtout par la défectuosité des réseaux locaux qui pousse une grande partie des usager·e·s à posséder deux téléphones portables, voire trois, afin d’être connecté au moins sur un réseau qui fonctionne bien au bon moment. Y compris des gens au chômage (la moitié environ de la jeunesse sud-africaine est au chômage) – dans cette Afrique où la politique nationale d’allocation chômage est si exceptionnelle – qui arrivent à s’en procurer, vu la grande diversité de l’offre en matière de qualité et de prix, la surproduction mondiale aidant. (...)
il n’est pas rare de voir des jeunes qui portent des chaussures Nike ou autres, avec deux téléphones portables en main, mais qui sont régulièrement en insécurité sociale, surtout alimentaire. Le Nigeria cité par le professeur de Harvard pour ses 71 % d’adultes ayant un téléphone portable a au moins 60 % de la population vivant dans la pauvreté.