
Dans les quartiers nord de Marseille, marqués par le chômage massif et la violence, une initiative pourrait bien améliorer un peu la vie des habitants. La cité de Font-Vert, enclavée géographiquement et sinistrée socialement, expérimente des jardins en pied d’immeubles, cultivés par les habitants. Une initiative qui recrée du lien, retisse des solidarités, génère des économies et permet de récupérer des espaces publics jusque-là abandonnés à la violence des trafiquants et aux représailles de la police. Reportage.
Les cris d’alerte des guetteurs résonnent entre les barres d’immeubles, signe qu’une patrouille de police approche de la cité. Max et Fathi s’en moquent. Les affres du trafic de drogue ne viendront pas troubler leur convivial barbecue. Au pied de la « zone K », un ensemble d’immeubles d’une dizaine d’étages de la cité de Font-Vert à Marseille, ils se sont constitués leur « petit coin de paradis », un « maquis de la résistance » pour combattre la désespérance sociale, l’isolement de la cité, la violence des trafiquants et des descentes de police.
Ce « petit coin de paradis » est un jardin potager, tout en longueur, bordant la ligne TGV. (...)
Un jardin officieux au début, jusqu’à ce que l’initiative essaime tout autour de la cité. Au pied de la zone K, une quarantaine de parcelles sont désormais cultivées par les habitants et commencent à leur changer la vie. (...)
La cité de Font-Vert est l’une des plus enclavées des quartiers nord de Marseille. À l’Ouest, l’infranchissable ligne à grande vitesse menant à la gare Saint-Charles. À l’Est, celle des trains régionaux, puis une caserne de CRS. Au Nord, un fleuve de voitures coule sur la quatre-voies actuellement en rénovation. « Quand on dit Font-Vert, on ne pense pas aux jardins », soupire Max. La zone est davantage connue pour être l’un des hauts lieux du trafic de drogue. (...)
La moitié des habitants sous le seuil de pauvreté
Dans le quartier « prioritaire » où habitent les 460 familles de Font-Vert, les indicateurs sociaux sont tous au rouge : 55% de la population vit sous le seuil de pauvreté (contre 14% en France) ; deux adultes sur trois sont sans emploi ; le revenu médian avoisine 6500 euros, quatre fois moins que la moyenne nationale [1]. Enclavée géographiquement, sinistrée socialement, la cité promet un avenir sombre aux moins de 14 ans qui y vivent – un habitant sur quatre – malgré le soleil méditerranéen. (...)
Les jardins constituent désormais une véritable bouffée d’oxygène (...)
fèves, menthe, patates, artichauts ou maïs émergent de terre, entre rails et béton. Une première tentative d’installer une ruche pour fournir du miel aux habitants a pour l’instant échoué. Un peu plus bas, un poulailler collectif distraie les enfants. Une femme et sa fille échangent des graines avec un voisin. « Ce sont des graines de tomates d’Algérie. Mon frère est paysan là-bas. J’y suis partie en vacances, et pendant mon absence rien n’avait été touché », s’étonne-t-elle.
« Quand je suis arrivé ici, les gens ne se disaient même pas bonjour »
« Au début, les gens n’y croyaient pas. Aujourd’hui cela crée du lien social, une cohésion. Les gens descendent le soir boire le thé à la menthe » (...)
Autour, les carcasses de voitures et de scooters brulés jonchent ce qui reste de pelouses ou d’esplanades. « Rien qu’ici, j’ai ramassé 14 carcasses de scooters ! ». Pendant que ce premier jardin clandestin prend racine, un autre événement fondateur se produit : une visite à Détroit, aux États-Unis, où l’agriculture urbaine fleurit sur les ruines de la crise économique et sociale, va largement inspirer l’équipe du centre social du quartier (lire aussi notre reportage). Pourquoi ne pas récupérer ces espaces publics délabrés pour en faire des potagers familiaux ?
« Tout ce qui est produit chimique, on n’en veut pas » (...)
« On fait tout en pierre. Le bois, c’est comme à Harlem, les guetteurs le prennent pour le brûler et se réchauffer en hiver », explique Fathi Chaker, l’un des jardiniers du centre social. (...)
. « Lors du premier chantier, nous sommes tombés sur une planque de drogue en creusant. À part ça, nous n’avons pas eu vraiment de problèmes », raconte Marcelo. En juin 2015, les premiers jardins sont inaugurés. Chaque famille, locataire de la cité, qui souhaite en avoir l’usage doit signer un bail avec l’office HLM et s’acquitter d’une cotisation annuelle de 20 euros pour payer l’eau, fournie par une fontaine collective. « Si une parcelle n’est pas entretenue pendant trois mois, elle est retirée à la famille qui en a l’usage », explique Céline Ciupa, responsable du secteur enfance et famille au sein du centre social. Les usagers des jardins se réunissent en assemblée générale trimestrielle. Les semences sont achetées à l’association Kokopelli. (...)
« Les gens ont retrouvé une estime de soi »
Un an plus tard, le bilan paraît très positif. « Cela a créé un vivre ensemble réel. Les gens ont retrouvé une estime de soi. Et cela a apaisé le climat avec les réseaux de trafiquants. Ce n’est plus un endroit où on peut faire tout et n’importe quoi », analyse Marcelo Chaparro. Des échanges entre jardins urbains s’organisent. Les habitants du sud de Marseille – des quartiers « riches » – ont été surpris de découvrir l’ampleur des potagers de Font-Vert, « la plus grande parcelle familiale en pieds d’immeubles de France », se réjouit-on. Les jardins contribuent aussi à alléger un peu les modestes budgets des ménages. (...)
Reste un problème : apaiser également les relations avec la police. Le 24 février dernier, Fathi Chaker, le jardinier du centre social, s’est fait tabasser par des agents de la Brigade anti-criminalité. Il travaille alors dans l’un des jardins grillagés quand il aperçoit un individu caché dans un grand bac, à l’intérieur. « Je l’ai pris pour un toxico ». Il l’interpelle et lui demande de partir. L’homme est en fait un policier en civil en planque. Il appelle ses coéquipiers. Un attroupement se forme. « Ils insultaient tout le monde, même les mamies », témoigne le jardinier, qui écope d’un coup de poing, est plaqué au sol et embarqué au commissariat pour une garde à vue de 12h. Lui et son employeur, le centre social, ont porté plainte. L’affaire est en cours. « Ils font des descentes, insultent les habitants et frappent des jeunes. Mais quand on les appelle pour un problème, ils ne viennent pas. Cela laisse penser que parce qu’on est pauvre, on n’a pas les mêmes droits que tous les Français », s’agace Marcelo. (...)