Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Quand l’agriculture biologique répare les crimes de la mafia napolitaine
Article mis en ligne le 31 janvier 2018

Dans le sud de l’Italie, la « terre des feux » doit son surnom à l’incinération de déchets clandestins bien souvent toxiques. Sur ces terres dominées par la mafia napolitaine s’épanouit pourtant L’Auberge du géant, une ferme mêlant respect de l’environnement et réinsertion sociale de détenus en fin de peine.

La « terre des feux » est une expression qui remonte aux années 2000. En 2008, Gomorra, le film de Matteo Garrone tiré du livre éponyme de Roberto Saviano, en a popularisé l’usage, provoquant du même coup un bref emballement médiatique autour du désastre écologique en cours. Aux frontières des provinces de Naples et de Caserte (en Campanie), elle désigne une pratique diffuse qui consiste à incendier les ordures déchargées illégalement. Cela permet à la fois de gagner de la place et d’empêcher la traçabilité des déchets. Au passage, l’air est pollué par un grand nombre de substances toxiques et cancérogènes, dont la célèbre dioxine.

Aujourd’hui, la Camorra, la mafia napolitaine, a perdu une part de son pouvoir d’intimidation : en 2013, une manifestation a ainsi rassemblé contre la sinistre organisation une centaine de milliers de personnes à Naples. Et l’association Stop biocido fait de son côté un état des lieux précis des sites pollués et des responsabilités de la criminalité organisée, de l’incapacité des pouvoirs publics à réagir efficacement devant ce phénomène et des complicités diverses — de l’incivisme des uns à la cécité commode des industriels qui continuent de se débarrasser à bas coût des déchets les plus chers à traiter. (...)

Acerra est l’une des trois pointes de ce que l’on a nommé le « triangle de la mort ». Avec quatre-vingts pour cent de terres impropres à l’agriculture, elle détient même un record national. Depuis vingt-sept ans, Carlo Petrella continue pourtant d’y produire fruits et légumes d’exception. La fondation qu’il dirige n’a, faut-il dire, rien de banal : ni ses employés, ni ses méthodes, ni son nom. Elle s’appelle La Locanda del gigante, « l’auberge du géant ». (...)

Fabio est napolitain, il finit de purger ici, comme une dizaine d’autres hommes, une peine de prison de dix ans. « Dans six mois, me dit-il, je retrouverai ma femme et ma fille. La petite, elle a changé ma vie. » Ici, tout repose sur la confiance. Pour accompagner le travail dans les champs, il n’y a cette après-midi-là qu’une simple assistante sociale. Pas de badge, pas de murs, pas de maton. (...)

Dans la propriété, on cultive des pommes de terre, de l’arachide, du safran, des artichauts, on fabrique aussi de l’huile d’olive. On n’utilise pas de produit chimique, juste du soufre, selon une méthode traditionnelle. Mais la présence d’agriculteurs en conventionnel aux alentours empêche l’obtention du label bio. Un peu plus loin, précise l’assistante sociale, il y a un incinérateur, mais le vent repousse avec constance les fumées vers une autre direction. (...)

Carlo Petrella organise des ventes aux enchères, où viennent des amis d’amis. Dans un milieu hostile, il continue de prouver que l’alternative est possible. Ici, des centaines de toxicomanes et de détenus en fin de peine ont trouvé leur voie vers la réinsertion. « Je ne rêve que de retourner vivre en famille, dit Fabio en souriant, mais quand je partirai d’ici, bien sûr, je serai quand même un peu triste. »