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Le Monde Diplomatique
Projet pour une presse libre
par Pierre Rimbert, décembre 2014
Article mis en ligne le 2 juin 2015
dernière modification le 28 mai 2015

Alors que la presse française titube, l’exigence s’affirme d’un modèle radicalement différent. Quel serait son cahier des charges ? Produire une information de qualité soustraite à la loi du marché comme aux pressions du pouvoir, loger numérique et papier à la même enseigne, inventer un mode de financement solide et juste. Surprise, les outils nécessaires à la mise en place d’un tel système sont sous nos yeux.

Naguère, les nouveaux riches soucieux de parfaire leur intégration à la bonne société s’offraient un haras, une voiture ancienne ou une villa à Cabourg. Désormais, pour asseoir leur statut, ils s’achètent un journal. MM. Bernard Arnault et François Pinault, deuxième et troisième fortunes françaises, ont depuis longtemps chacun le leur, respectivement Les Echos et Le Point. Les voici rejoints par de nouveaux venus, MM. Xavier Niel et Patrick Drahi, industriels des télécommunications, renfloueurs respectifs du Monde (2010) et de Libération (2014). Financiers autant que philanthropes, ils ont inauguré leur magistère par une réduction drastique des dépenses. Paradoxe : les moyens techniques et intellectuels nécessaires pour produire et diffuser une information de qualité abondent ; mais, à de rares exceptions près, la presse imprimée et numérique chancelle, incapable de juguler la dégradation de ses contenus et de stabiliser son assise économique. (...)

l’information est pensée comme un bien public, mais produite comme une marchandise. Substrat indispensable à la formation des jugements politiques, elle concourt à forger des esprits libres, des imaginaires collectifs, des groupes mobilisés. C’est l’arme à mettre entre toutes les mains. Et parce qu’aucune société émancipée ne saurait s’en priver, l’Assemblée constituante de 1789 proclame que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » et que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement » (3). Hélas, le législateur, toujours plus à l’aise dans la poésie des idées que dans la prose du quotidien, n’a pas sanctuarisé les moyens de son ambition. Enquêter, corriger, mettre en pages, stocker, illustrer, maquetter, administrer et, en ce qui concerne la presse imprimée, fabriquer et distribuer, tout cela coûte cher. Et bientôt le droit « universel » de « répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit (4) » se mue en un privilège — celui d’une poignée d’industriels suffisamment fortunés pour s’offrir les grands moyens d’information.

Au fil du temps, le double caractère idéalement collectif et concrètement marchand de l’information s’est sédimenté sous la forme d’une tension entre le marché et l’Etat. (...)

Sur quelles bases économiques construire un nouveau système respectueux du cahier des charges minimal qu’imposent les leçons de l’histoire, une information conçue comme bien public échappant simultanément aux contraintes économiques et aux pressions politiques de l’Etat ? (...)

Trois éléments permettent de charpenter un cadre. Le premier consiste à distinguer radicalement la presse d’information ayant vocation à alimenter le débat public de la presse récréative (...)