Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
« Projet Pegasus » : en Inde, plus de quarante journalistes ciblés
Article mis en ligne le 21 juillet 2021

Plus de 40 journalistes travaillant pour de grands médias indiens figurent sur une liste secrète de cibles potentielles du logiciel de surveillance israélien. Plusieurs d’entre eux ont été espionnés, probablement par une ou plusieurs agences de l’État indien.

Le logiciel espion « Pegasus », fabriqué par l’entreprise israélienne NSO, a été très largement utilisé en Inde. Les numéros de téléphone de plus de 40 journalistes indiens figurent sur une liste confidentielle de cibles potentielles à espionner, obtenue par l’ONG française Forbidden Stories et analysée avec Amnesty International et un consortium de seize médias internationaux, dont The Wire en Inde (lire leurs enquêtes ici) et Le Monde en France, dans le cadre de l’enquête « Projet Pegasus ».

Des analyses informatiques menées par le laboratoire d’Amnesty International sur des téléphones figurant sur la liste a permis de confirmer qu’une partie de ces 40 journalistes indiens ont bien été espionnés par une agence non identifiée qui a utilisé le logiciel Pegasus.

La liste des cibles inclut des journalistes de premier plan qui travaillent pour de grands médias indiens, le Hindustan Times (dont son rédacteur en chef Shishir Gupta), India Today, Network18, The Hindu, Indian Express et le site d’information The Wire. (...)

La liste de téléphones obtenue par Forbidden Stories désigne des cibles potentielles, mais ne signifie pas forcément que les personnes ont été espionnées. Seule une analyse du téléphone permet de confirmer s’il a été infecté par Pegasus, un logiciel redoutable capable d’aspirer toutes les données de l’appareil, y compris les messages échangés via les messageries cryptées.

Une analyse informatique menée sur dix téléphones indiens dont les numéros étaient sur la liste a permis de confirmer des tentatives de piratage et des infections réussies par Pegasus.

L’analyse informatique a également montré que les téléphones infectés ont été piratés dans un délai de quelques minutes à quelques heures après que les numéros de téléphone ont été ajoutés à la liste. Pour deux numéros indiens, le délai entre leur apparition sur la liste et le piratage du téléphone n’était que de quelques secondes.

Pegasus a été conçu par la société israélienne NSO Group, qui affirme vendre son logiciel espion uniquement aux « gouvernements approuvés ». La société refuse de rendre publique la liste de ses clients, mais la présence d’infections Pegasus en Inde et l’éventail des personnes ciblées indiquent que Pegasus a très probablement été utilisé par une agence d’État indienne. (...)

La liste de téléphones obtenue par Forbidden Stories désigne des cibles potentielles, mais ne signifie pas forcément que les personnes ont été espionnées. Seule une analyse du téléphone permet de confirmer s’il a été infecté par Pegasus, un logiciel redoutable capable d’aspirer toutes les données de l’appareil, y compris les messages échangés via les messageries cryptées.

Une analyse informatique menée sur dix téléphones indiens dont les numéros étaient sur la liste a permis de confirmer des tentatives de piratage et des infections réussies par Pegasus.

L’analyse informatique a également montré que les téléphones infectés ont été piratés dans un délai de quelques minutes à quelques heures après que les numéros de téléphone ont été ajoutés à la liste. Pour deux numéros indiens, le délai entre leur apparition sur la liste et le piratage du téléphone n’était que de quelques secondes.

Pegasus a été conçu par la société israélienne NSO Group, qui affirme vendre son logiciel espion uniquement aux « gouvernements approuvés ». La société refuse de rendre publique la liste de ses clients, mais la présence d’infections Pegasus en Inde et l’éventail des personnes ciblées indiquent que Pegasus a très probablement été utilisé par une agence d’État indienne. (...)

Le numéro de Sushant Singh, ancien journaliste à Indian Express, est apparu sur la liste à la mi-2018, à un moment où il travaillait notamment sur le scandale de la vente par la France à l’Inde de 36 chasseurs Rafale (lire les révélations de Mediapart sur cette affaire). L’analyse du téléphone de Sushant Singh a également montré des signes d’infection par Pegasus au début de l’année 2021.

Cela crée un environnement de peur et d’intimidation à la fois pour le journaliste et ses sources, les mettant en grave danger

Sushant Singh, ancien journaliste à Indian Express

Lauréat en 2018 du prestigieux prix Ramnath Goenka d’excellence en journalisme, Sushant Singh a quitté Indian Express en 2020. Outre l’affaire des Rafale, il travaillait sur de nombreux dossiers sensibles, dont une affaire impliquant le CBI (la police fédérale indienne, équivalent au FBI américain), des nominations et des affaires disciplinaires à la Cour suprême, et le bombardement controversé effectué en 2019 par l’armée indienne à Balakot, au Pakistan. (...)

Finalement, si la presse ne peut plus « fonctionner de manière saine » sans être espionnée, « les institutions sont affaiblies et la démocratie est finalement affaiblie » (...)

Parmi les 40 000 numéros de téléphone ciblés dans le monde, l’enquête Projet Pegasus a pu identifier de manière indépendante les propriétaires de 1 571 numéros dans au moins 10 pays, et analyser plusieurs dizaines de téléphones afin d’y détecter la présence de Pegasus. (...)

Fondé en 2010, le groupe NSO est surtout connu pour avoir créé Pegasus, qui permet à ceux qui l’exploitent de pirater à distance les smartphones, et à accéder à leur contenu et à leurs fonctionnalités, y compris l’activation du micro et de la caméra. La société a toujours insisté sur le fait que Pegasus n’est pas vendu à des entités privées, et uniquement à des « gouvernements approuvés ». Selon l’enquête Projet Pegasus, le gouvernement israélien valide toutes les exportations de Pegasus.

NSO a refusé de confirmer si le gouvernement indien est l’un de ses clients. Mais la présence de traces d’infections dans les téléphones de journalistes et de personnalités indiennes suggère fortement qu’une ou plusieurs agences officielles indiennes utilisent activement le logiciel espion. (...)

L’analyse informatique indépendante menée par le laboratoire d’Amnesty International a conclu que, parmi les treize iPhone examinés en Inde, neuf ont été ciblés et sept ont été infectés avec succès par Pegasus. Parmi les neuf appareils équipés du système d’exploitation Android, l’un a été visé.

Les résultats n’étaient pas concluants pour les huit autres appareils, principalement parce que la présence de Pegasus est plus difficile à détecter sur les appareils Android.

Des traces d’une infection réussie par Pegasus ont été trouvées sur les téléphones portables de six journalistes indiens qui ont accepté de faire examiner leurs téléphones, après avoir été informés que leur numéro figurait sur la liste des personnes potentiellement visées. (...)

« Compte tenu de la façon dont ce gouvernement abuse de la Constitution indienne pour incarcérer ses plus ardents défenseurs, je ne sais pas si je dois considérer cela comme une menace ou un compliment », a réagi le chroniqueur de The Wire, Prem Shankar Jha.

« Mon travail consiste à continuer [à réaliser] des articles… L’actualité continue, les histoires doivent être racontées telles qu’elles sont, sans omettre de faits ni les déformer », a réagi Vijaita Singh, journaliste à The Hindu.

Rohini Singh, journaliste à The Wire, ne cache pas son amertume : « Malheureusement, la surveillance est considérée comme une activité qu’un gouvernement puissant effectue de toute façon. Ce comportement n’est pas vraiment critiqué par les médias de masse, c’est ce que je trouve le plus triste. » (...)

Plusieurs journalistes chevronnés, qui ont aujourd’hui quitté le secteur des médias, apparaissent également sur la liste d’individus potentiellement visés. C’est notamment le cas de l’ancien journaliste spécialiste de la sécurité nationale Saikat Datta ; l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire Economics and Political Weekly Paranjoy Guha Thakurta, qui écrit désormais régulièrement pour Newsclick.in ; l’ancienne présentatrice de TV18 et journaliste diplomatique à The Tribune Smita Sharma ; l’ancien journaliste d’Outlook S.N.M. Abdi ; et l’ancien journaliste de DNA Iftikhar Gilani.

L’analyse des données par The Wire montre que la plupart de ces journalistes ont été ciblés entre 2018 et 2019, à l’approche des élections législatives indiennes de 2019.

Certains journalistes semblent avoir été ajoutés à la liste plus ou moins en même temps, suggérant qu’un groupe était ciblé. D’autres ont été ajoutés individuellement, probablement à cause des sujets de leurs enquêtes. (...)

Le député indien et ancien journaliste Santosh Bhartiya, devenu journaliste, a également été ajouté à la liste début 2019.
Des médias régionaux également pris pour cibles (...)

Les journalistes indiens cités dans cet article ne sont pas les seuls à avoir été ciblés ou espionnés. The Wire et Forbidden Stories ont proposé à plusieurs autres reporters figurant dans la liste de cibles potentielles de faire analyser leurs téléphones. Mais ils ont refusé, en citant des motifs différents, qui vont du manque de soutien de leur direction au fait qu’ils n’ont pas suffisamment confiance dans le processus d’analyse.