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le Monde Diplomatique
Pourquoi veulent-ils casser l’école ?
par Christian Laval, septembre 2011
Article mis en ligne le 23 février 2012
dernière modification le 20 février 2012

En septembre 2007, à peine élu président de la République, M. Nicolas Sarkozy avait exprimé dans une « Lettre aux éducateurs » son souhait d’une école avec « moins de professeurs ». Et, pour une fois, la promesse a été tenue, avec la suppression de seize mille postes d’enseignant en 2011 et 2012, ce qui devrait conduire à la destruction de quatre-vingt mille postes en cinq ans dans l’enseignement primaire et secondaire. Cette véritable saignée suscite colère et inquiétude chez les enseignants, mais aussi chez les parents d’élèves et, désormais, chez les maires, y compris ceux de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). L’annonce de la fermeture de mille cinq cents classes du primaire à la rentrée 2011 a soulevé l’indignation : « Trop c’est trop, on ne peut plus continuer à supprimer des postes dans l’enseignement (1) ! », s’est ainsi exclamé M. Jean-Pierre Masclet, le président UMP de l’Association des maires du Nord.

Même l’enseignement privé, pourtant moins touché en proportion par ces coupes dans les effectifs, se met à donner de la voix.

(...) « On ne peut pas concevoir l’éducation des enfants selon un simple rapport comptable » : quand ce ne sont plus les syndicats d’enseignants qui le disent, mais les parents, c’est-à-dire des électeurs, la chose devient plus risquée pour le gouvernement. L’école primaire n’est pas la seule touchée. (...)

Après la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et de l’année de formation des nouveaux enseignants stagiaires, après la quasi-liquidation de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, la poursuite d’une telle politique est de plus en plus insupportable pour les personnels et les usagers de l’éducation nationale. Leurs mobilisations semblent avoir fini par payer : le 21 juin dernier, M. Sarkozy a annoncé le gel des fermetures de classes « hors démographie » dans le primaire pour 2012. L’approche de l’élection présidentielle n’est sans doute pas étrangère à ce changement d’orientation qui, d’ailleurs, ne suffira pas à effacer le bilan de cinq ans de sarkozysme scolaire. (...)

Le gel du point d’indice des fonctionnaires pendant trois ans conduira à une nouvelle diminution de 5 à 10 % de leur pouvoir d’achat, sans compter les effets de l’augmentation du taux de cotisation à la retraite. Cet appauvrissement délibéré n’est certes pas nouveau, puisqu’il a commencé avec les mesures de désindexation des traitements par rapport à l’évolution des prix adoptées par M. Jacques Delors au début des années 1980, mais il a tendance à s’accélérer et à s’accentuer ces dernières années
(...)

On comprend mieux alors le déclin rapide de l’attractivité du métier, qu’aucune campagne de propagande publicitaire n’enrayera. (...)

Et le métier lui-même est rendu de plus en plus difficile, complexe, usant, anxiogène. La dégradation de l’image de la profession enseignante se fait sentir aux concours de recrutement, où le nombre de candidats s’effondre depuis une dizaine d’années dans les disciplines scientifiques, mais également en anglais ou en lettres classiques.
(...)

Les récentes réformes n’ont fait qu’accélérer une tendance longue qui vise à transformer profondément le fonctionnement de l’école, ses modes de régulation et ses objectifs. Mais M. Sarkozy a choisi la manière forte, en détériorant délibérément les conditions d’enseignement et d’apprentissage pour mieux imposer ses projets. (...)

Après la mise en route de l’« université entreprise », recommandée par l’Union européenne, c’est au tour de l’enseignement primaire et secondaire de se soumettre à la norme de l’employabilité, de l’efficacité, de la performance (7). Dans l’optique des réformateurs actuels, tout, jusqu’à la pédagogie, doit se calquer sur le monde économique, car l’école ne fait rien d’autre que produire le « capital humain » et les « compétences de base » qui lui sont nécessaires. Cette logique normative, supposée faire passer l’efficacité avant tout, est aujourd’hui portée par une hiérarchie intermédiaire de plus en plus centralisée et censée appliquer rigoureusement toutes les réformes, mesures et consignes reçues d’en haut. Le temps le plus noir de l’autoritarisme dans l’enseignement semble revenu. (...)

Ce nouvel esprit disciplinaire se traduit par l’abandon des objectifs égalitaires, jugés contre-productifs. L’école doit se délester de tout ce qui diminue son rendement, à commencer par les élèves perturbateurs, qui seront « exfiltrés » vers des établissements de réinsertion scolaire (ERS), dont les premières expériences ont pourtant été catastrophiques (8). Pour la droite, qui a mal digéré le collège unique, l’égalité n’est plus une finalité. (...)

Pour définir un projet progressiste, il importe de comprendre enfin que nous sommes entrés dans un âge inédit de l’institution : celui de la nouvelle école capitaliste.

(...)

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