Dans le contexte pandémique actuel où le vaccin contre le Covid-19 est largement attendu par une grande partie de la société civile afin d’endiguer la propagation du virus, les antivax et les vaccino-méfiant·es sont largement pointé·es du doigt. Lorsqu’a été partagé un sondage affirmant que près d’un tiers des Français·es ne se feraient pas vacciner contre le Covid, les commentaires à l’emporte-pièce ne se sont pas fait attendre sur les réseaux sociaux. (...)
Ce manichéisme et cette violence sont-ils justifiés ? Les personnes émettant ne seraient-ce que des réserves quant au futur vaccin contre le Covid sont-elles aussi sottes que certains le pensent ? La question mérite qu’on s’y attarde afin d’éviter les stigmatisations hâtives mais aussi parce qu’elle est incontournable pour mettre en place une politique vaccinale pertinente et efficace dès la mise sur le marché d’un vaccin contre le Covid.
Antivax et vaccino-sceptiques
Lorsque les données de l’enquête COCONEL ou de celle réalisée par YouGov pour le Huffington Post indiquent qu’entre 20 et 32% des Français·es ne se feraient pas vacciner contre le Covid si un vaccin existait, il faut bien comprendre que toutes les personnes incluses dans ces pourcentages ne font pas partie de la frange dure des mouvements antivaccination.
Si ces derniers, que leur rejet vaccinal provienne de leur religion ou d’idéologies naturalistes ou complotistes, sont de plus en plus présents en France, ils ne constituent pas une majorité. (...)
Leurs discours extrêmes essaiment cependant sur les réseaux sociaux et peuvent susciter doute et méfiance.
En réalité, la plupart des personnes réticentes tendent à être davantage vaccino-méfiantes sinon vaccino-hésitantes –comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les vaccins en France où, malgré la vivacité des antivax et la méfiance de la société civile, la couverture vaccinale n’est pas si mauvaise comparée aux États-Unis. Ainsi, dans l’enquête COCONEL, seul·es 6% des répondant·es se disent contre la vaccination en général. Reste à comprendre les sources de cette méfiance.
Une confiance raisonnablement entamée
Cette méfiance à l’égard des vaccins en général s’est à l’évidence alimentée « de faits passés avérés, pas forcément collusions financières mais liens d’intérêt divers et nombreuses affaires sanitaires qui ont marqué la population (Mediator, Distilbène…) », explique Lucie Guimier, géographe et analyste en géopolitique et spécialiste de la question vaccinale. « On peut comprendre que la population craint une collusion entre les autorités gouvernementales et sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques et ce sans, pour autant, verser dans le complotisme le plus radical. » (...)
Dans le contexte actuel où les laboratoires se livrent une âpre concurrence en vue d’être la première à trouver un vaccin et où les entreprises de biotech ont déjà touché le gros lot, on peut également entendre les propos de défiance envers une industrie pharmaceutique vue comme recherchant le profit avant même le bénéfice sanitaire. (...)
La peur d’un vaccin conçu à la va vite
« Ce qui est particulièrement saillant ici, c’est que le vaccin est encore en cours de développement, note Lucie Guimier. On n’a donc pas de recul sur les effets indésirables à court, moyen et long terme. Cela explique aisément une certaine frilosité. » Le sentiment de manque de recul est associé à celui que le vaccin contre le Covid sera conçu et commercialisé en un temps record. (...)
Cette méfiance existe également et sans surprise chez des personnes qui ont développé des réactions à la suite d’un autre vaccin, notamment celui contre le H1N1 (...)
Beaucoup de personnes semblent avoir intégré que la recherche prend du temps et que l’urgence de la pandémie ne saurait justifier un développement, une production et une mise sur le marché en urgence.
Par ailleurs, comment ne pas craindre des effets indésirables lorsque nombre de scientifiques ainsi que le ministère de la Santé américain a d’ores et déjà annoncé que tous les vaccins contre le Covid-19 seraient réactogènes et provoqueraient des effets indésirables ? Même si ces derniers seront vraisemblablement modérés et comparables à ceux du vaccin contre la grippe pour la plupart des gens, ces communications marquent les esprits. (...)
Un acte politique
Au-delà de ces craintes très rationnelles liées au manque de recul, le refus vaccinal est, dans le contexte actuel, un acte idéologisé voire politique résultant d’une perte de confiance envers les responsables politiques qui nous gouvernent. Celle-ci n’est pas surprenante lorsque l’on voit comme le gouvernement a bafouillé sur les masques ou sur la fermeture des lieux publics, générant ainsi des discours contradictoires. (...)
À cela s’ajoute quelque chose d’assez inédit en France : une montée en puissance des discours libertariens plus ou moins revendiqués comme tels. (...)
On notera aussi une collusion de ces deux types de discours sur le site Égalité et Réconciliation fondé par Alain Soral.
« En plus d’une méconnaissance de ce qu’est la santé publique et de ses fondamentaux, on voit bien que les gens pensent avant tout pour eux et non pour la société », confirme Frédéric Marçon.
Sommes-nous désormais dans une impasse où toute une catégorie de la population serait durablement réfractaire à la vaccination ? Rien n’est moins sûr. (...)
Avec un peu d’optimisme, on pourra voir cette volonté comme un levier pour développer une politique vaccinale basée sur une pédagogie adaptée… pour peu que l’on ne prenne pas les vaccino-sceptiques pour des imbéciles et qu’on les intègre, comme le préconisent le CARE, le Comité scientifique Covid-19 et Comité Vaccin Covid-19 dans une « démarche participative, ouverte et transparente » destinée à susciter l’adhésion.