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Marianne.net
Plongée dans la fabrique des élites
Article mis en ligne le 14 juin 2013
dernière modification le 11 juin 2013

Sur quels sujets de culture générale sélectionne-t-on aujourd’hui à HEC, à l’ENA et dans les autres grandes écoles ? "Marianne" y a relevé, en tout cas, quelques superbes perles de la pensée unique : violente, méprisante, ultralibérale.

Pas de pitié pour les losers. En 2010, HEC préparait ses futurs étudiants en les invitant à réfléchir à cette autre question : « La vie est-elle autre chose que le théâtre de la cruauté ? » Les enfants de bons profs et les quelques littéraires que forme encore l’Education nationale ont fait référence au Théâtre et son double, d’Antonin Arthaud. Mais, pour la plupart, les futurs patrons et les traders ont vu là une invitation au cynisme et aux restructurations au sabre « du même Mittal ».

Les écoles de commerce ne cachent pas leur jeu. On sait qu’on est là pour « se préparer à une excellente carrière de cadre supérieur ». Ce noble objectif est vanté par les professeurs de spéciales, autre nom des profs de prépa, regroupés au sein de l’UPS (Union des professeurs de spéciales). En 2006, les futurs étudiants de l’Essec ont planché pendant quatre heures autour de ce « to be or not to be » version Alain Minc : « Qu’est-ce qu’un juste salaire ? »

Si les candidats, qui rêvent tous de hautes fonctions dans les entreprises, ont défendu comme un seul homme les revenus des patrons « créateurs de richesse et d’emplois », certains des lauréats ont même pensé à remettre en cause le Smic, un salaire administré et surélevé, donc injuste, dont l’effet pervers serait de condamner les plus faibles au chômage. Le même sujet a, du reste, été posé à l’ENA sous une forme certes beaucoup moins vulgaire. Les grands commis de l’Etat n’ont pas encore le parler cash des business schools. (...)

Depuis un certain temps, la rue et la révolution préoccupent l’ensemble des élites. Ont-elles peur ? En 1998, les énarques s’interrogeaient ainsi sur « l’utilité de la contestation » ou plus récemment sur la révolution comme « phénomène périmé ». Il faut dire que, juste après le tournant de la rigueur de 1983 et la conversion définitive des socialistes au libéralisme, l’ENA s’était vite adaptée avec une magistrale citation d’Henry de Montherlant à commenter : « Les révolutions font perdre beaucoup de temps ».

Surprise, la guerre est très présente dans toutes les épreuves de ce genre de concours qui sont certes de vrais champs de bataille. HEC propose ainsi : « Les guerres ont-elles changé de visage au XXIe siècle ? », ou encore « Les vertus militaires conservent-elles une valeur dans les sociétés démocratiques ? » Idem en 2009 pour une question posée dans les instituts d’études politiques (IEP) de province : « Peut-on "civiliser" les manières de faire la guerre ? ». A l’ENA, où les Clausewitz se ramassent à la pelle, en 2011, il était proposé « Les démocraties face à la guerre ».

Beaucoup d’étudiants voient dans la guerre une métaphore de la compétition économique. Dans les forums où ils donnent leur avis, les candidats se laissent aller à parler de « guerres économiques et financières ». (...)

Pour finir, cerise sur le Medef, toujours à HEC, en 2011 : « Le service public a-t-il un avenir en Europe ? » et « L’avenir de la protection sociale en France ». Sans avoir fait HEC, vous avez compris que la réponse est cachée dans la question. Evidemment, pas un seul crétin n’a envisagé un avenir radieux au système dans un pays qui n’a pourtant jamais été aussi riche. S’il est sage, l’animal à concours énumère les « nécessaires réformes » : allongement des durées de cotisation, augmentation du ticket modérateur.

Les candidats les plus audacieux auront proposé une privatisation de la protection sociale... Trois des quatre plus grosses compagnies d’assurances françaises sont dirigées par des anciens d’HEC. Ah, privatiser le parapluie social ! Le bonheur de Denis Kessler. (...)