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Permaculture et agriculture bio s’enracinent en Palestine
Article mis en ligne le 6 décembre 2017
dernière modification le 5 décembre 2017

Les principes de l’agroécologie sont parfaitement adaptés à la culture de la terre en Palestine, notamment du fait du manque d’eau et des restrictions d’intrants chimiques imposées par Israël. Capables de vivre de leur travail, les paysans renforcent ainsi leur autonomie vis-à-vis du colonisateur israélien.

Au fur et à mesure que le sheroot (taxi partagé) s’enfonce dans la campagne palestinienne, les oliviers défilent, à flanc de colline. Tout d’un coup, le chauffeur tourne à droite sur un petit chemin et nous voici à Marda, ville palestinienne de 3.000 habitants au pied des collines. En contrebas, s’étendent des hectares de terres cultivées. En haut, surplombant la ville, se dressent des gratte-ciels et des pavillons résidentiels : c’est Ariel, l’une des plus vastes colonies israéliennes, établie depuis 1978. Son implantation a fait perdre à la commune de Marda 50 % de sa surface agricole.

Dans ce territoire sous tension politique permanente, la présence d’un petit hectare de ferme en permaculture n’est pas anodine. D’ailleurs, depuis quelques années, plusieurs initiatives d’agriculture biologique ou en permaculture éclosent en Cisjordanie. Ces initiatives tendent à répondre aux enjeux alimentaires de la région, mais pas seulement… Installées au centre du conflit, elles ont un écho particulier pour leurs promoteurs. (...)

« Une fois qu’il est en place, ce n’est pas compliqué »

Les classiques de la permaculture y sont appliqués avec soin. « Le plus difficile, c’est le design bien sûr, m’explique ce Palestinien de 47 ans en essuyant son front piqueté de taches de rousseur, mais une fois qu’il est en place ce n’est pas compliqué. » La dernière réalisation est une piscine aquaponique à laquelle il ne manque plus que les poissons pour être parfaitement opérationnelle ; Murad a prévu d’aller les chercher à Jéricho. Dans la ferme, tout fonctionne à merveille. Une grande quantité de cultures vivrières poussent sous serre ou en plein air sans difficultés. Murad y travaille seul ou avec les volontaires de passage qu’il accueille chez lui. Bien sûr en Palestine, il n’existe pas réellement de consommateurs intéressés par des produits spécifiquement biologiques — les familles se concentrent sur leurs besoins les plus essentiels. « C’est l’argent qui parle ici… » soupire-t-il. L’effort de Murad pour ne pas faire appel à des intrants chimiques ne fait donc pas office de valeur ajoutée. En conséquence, il vend ses fruits et légumes aux habitants de Marda à des prix classiques — c’est-à-dire bas. Il lui arrive, au mieux, de facturer un peu au-dessus des prix du marché en répondant à des commandes de Ramallah, capitale administrative de l’Autorité palestinienne.

Cette difficulté à valoriser les produits biologiques explique que les projets de la ferme ne soient pas autofinancés mais principalement soutenus par des acteurs extérieurs : ONG, réseaux internationaux, associations… Ou même par quelques particuliers comme Tony Andersen, fameux permaculteur danois qui s’intéresse de près aux actions de Murad. Quoi qu’il en soit, ces sources de financement, subventions rares et non pérennes, ne peuvent constituer un modèle économique reproductible et généralisable à l’ensemble du territoire. (...)

des structures insérées dans l’économie de marché cherchent aussi des solutions pour insérer les productions biologiques des territoires palestiniens dans un modèle économique viable et indépendant. C’est la démarche que poursuit Canaan, une entreprise palestinienne créée en 2005. Son directeur, Nasser Abu Farah, a décidé de commencer par le plus simple à produire localement : l’huile d’olive. (...)

Si l’agriculture biologique peut ainsi être, dans certaines conditions, une source de revenus importante, elle est aussi un moyen de répondre à des difficultés propres à l’agriculture palestinienne. Layth Sbaihat travaille à Core, un centre de recherche sur l’agriculture biologique fondé par Canaan en 2014 et destiné à accompagner les agriculteurs. Pour ce titulaire d’un doctorat d’agriculture biologique de l’université Nagoya au Japon, « l’agriculture biologique est une nécessité aujourd’hui en Palestine ».
Savamment doser le compost

La Palestine souffre en effet d’une pénurie d’eau et d’une sécheresse chroniques dues aux conditions climatiques de la région… mais aussi à son organisation politique. Les réserves d’eau des territoires occupés sont gérées par Israël. Depuis les accords d’Oslo de 1993, un agriculteur palestinien souhaitant creuser un puits doit demander une permission officielle aux autorités israéliennes. Or, à ce jour, aucune permission n’a été délivrée. Les agriculteurs sont donc dans l’obligation d’acheter leur eau à Makarot, une compagnie israélienne qui la vend à un tarif élevé. Pour Layth, l’enjeu est simple : s’il est impossible d’avoir accès à l’eau dans des conditions financières acceptables, il faut donc optimiser son usage au maximum. Or, « grâce à l’agriculture biologique nous pouvons promouvoir certaines techniques afin de rationaliser l’usage de l’eau, de collecter l’eau de pluie, d’améliorer la capacité du sol à stocker l’eau, etc. ». (...)

En retournant son compost, Murad explique qu’avec les années, il a appris à savamment le doser afin d’en faire un engrais efficace contenant tous les éléments nutritifs nécessaires pour les cultures. (...)

Permettant de pallier le manque de ressources nécessaires au travail de la terre, l’agriculture biologique pourvoit en outre une production riche et variée. En effet, avec sa ferme, la Marda Permaculture Farm, Murad a ouvert une voie, non pas vers l’autonomie financière mais vers l’autonomie alimentaire. La variété de sa polyculture lui permet d’être presque autosuffisant et de nourrir sa grande famille avec le quart de sa production. S’il ne la vend pas plus cher, il ne débourse presque rien pour nourrir sa femme et ses 5 enfants.
« L’agriculture, c’est la base de toute culture ! »

À l’heure où les produits israéliens se vendent sur tous les marchés de Cisjordanie, produire soi-même ses fruits et légumes est une façon de « boycotter l’économie du colonisateur israélien ». En d’autres termes, avec sa ferme, il entend « montrer le chemin de l’émancipation aux Palestiniens. Si chacun peut cultiver chez lui des espèces vivrières, la Palestine peut prétendre à une indépendance et une sécurité alimentaire ».

Or cette indépendance semble bien accessible au plus grand nombre. (...)

cultiver la terre en en prenant soin est en Palestine… un acte politique. En premier lieu, parce qu’il s’agit d’un moyen très concret de protéger un territoire menacé. En effet, selon un vieux principe du droit ottoman, Israël se réserve la possibilité de récupérer les terres qui ne seraient ni occupées ni utilisées depuis 3 ans. « Quand on abandonne la terre, celle-ci est aussitôt menacée », souligne Naser Abur Farah, fondateur et directeur de Canaan. Ainsi, pratiquer l’agriculture, c’est faire en sorte de conserver le territoire à la disposition des Palestiniens.
Il faut également garder à l’esprit que l’existence de la Palestine tient à la présence même du peuple palestinien. Présence d’autant plus fragile que ce territoire est l’objet de litiges et revendications multiples. Dès lors, pour un paysan palestinien, s’occuper de la terre palestinienne, c’est avant tout l’occuper — affirmer un attachement territorial et, de ce fait, revendiquer une identité nationale. En outre, Naser Abur Farah, anthropologue de formation, perçoit les cultures millénaires de la Palestine comme un vecteur de son identité : « L’agriculture, c’est la base de toute culture ! » Selon lui, produire bio n’est pas une véritable innovation, c’est simplement préserver les pratiques ancestrales des Palestiniens.
Travailler le sol en Palestine est donc une question d’existence, en tant que peuple, en tant que nation et en tant que culture. Pratiquer l’agriculture biologique, c’est défendre et sauvegarder une richesse naturelle et culturelle, « parce que c’est ça qui fait de la Palestine la Palestine ».