
Les menaces et messages anonymes, actes de sabotage, retraits de subventions publiques pour certains médias locaux sont autant d’intimidations au service d’intérêts économiques en désaccord avec les objectifs sociaux et écologiques du XXIème siècle.
En Bretagne, le monde de l’agro-industrie bénéficie décidément d’une drôle d’impunité. Fin mars 2021, les intimidations à l’encontre de Morgan Large ont pris une tournure grave. Après les insultes, les menaces, et les coups de fil anonymes au milieu de la nuit, la journaliste locale de la Radio Kreizh Breizh a découvert les roues de sa voiture déboulonnées. Un acte malveillant qui aurait pu mettre ses jours en danger lorsqu’elle a conduit plusieurs jours sans boulons, avec sa fille dans la voiture, à son insu. Les raisons de cet acharnement : ses enquêtes sur les dérives de l’agriculture industrielle en Bretagne. Malgré ces faits alarmants, le Ministère de l’Intérieur lui a refusé une protection rapprochée. Pas de quoi décourager la bretonne, qui compte bien poursuivre ses enquêtes, avec le soutien de ses collègues et de la population. (...)
« Encore aujourd’hui, j’ai toujours des appels anonymes la nuit vers 1h du matin… Tout le monde connaît mon adresse. Lors du dernier souci en date, fin mars 2021, je pensais que les choses s’étaient tassées et que c’était fini. Je travaillais sur un début d’enquête : j’avais juste passé quelques coups de fils. Je suis rentrée chez moi entre midi et deux, et j’ai découvert le gros boulon de roue par terre, et je me suis dit « là ça craint ». C’est mon voisin qui a retrouvé l’autre quelques jours avant. J’ai appelé mon garagiste qui m’a confirmé qu’on ne perd pas deux boulons de cette façon. J’ai roulé 4 jours comme ça, sur plus de 250 km. » raconte Morgan Large pour La Relève et La Peste
A la suite du sabotage sur sa voiture, trois plaintes contre X ont été déposées par Morgan elle-même, le SNJ (Syndicat National des journalistes) et Reporters Sans Frontières (RSF). Une information judiciaire a été ouverte (le 22 avril) par le procureur de la république de Saint-Brieuc pour « destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet de tout moyen de nature à créer un danger pour les personnes », « entrave concertée à la liberté d’expression », ainsi que « destruction, dégradation ou détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui dont il ne résulte qu’un dommage léger ». (...)
L’impunité du monde agro-industriel
Si cet acte de sabotage n’est que le dernier d’une longue série, il montre qu’un seuil a été franchi dans la malveillance, ainsi que l’indique RSF. Depuis quelques années, les journalistes qui mènent des enquêtes sur les dérives de l’agro-industrie et leurs sévères conséquences sociales et environnementales font face à une omerta bien rodée et des pressions de plus en plus fortes.
Les menaces et messages anonymes, actes de sabotage, retraits de subventions publiques pour certains médias locaux sont autant d’intimidations au service d’intérêts économiques privés en désaccord avec les objectifs sociaux et écologiques du XXIème siècle.
La journaliste Inès Léraud avait ainsi fait l’objet de multiples pressions, notamment après son enquête sur les algues vertes, et de plusieurs plaintes assimilables à des procédures-bâillons qui ont toutes été abandonnées les veilles des procès, prouvant par-là leur caractère dissuasif plutôt que leur bien-fondé. (...)
Pour l’heure, loin de balayer devant leur porte, les syndicats de l’agro-industrie restent campés sur des positions de victimisation, et n’assument pas le manque de transparence qu’ils entretiennent parfois, à rebours des attentes sociétales.
Ainsi la FRSEA, la branche régionale de FNSEA en Bretagne, avait publié une image du visage de Morgan Large sur Twitter pour critiquer le documentaire, depuis supprimée. On peut s’étonner que son communiqué « condamnant les actes de malveillance visant Morgan Large » insiste pour rappeler l’importance de « la liberté d’expression syndicale » et les nombreuses intrusions dont seraient victimes les agriculteurs, sans vraiment faire un sincère mea culpa sur la diffusion de la photo et les réactions qu’elle aurait pu entrainer. (...)
La ruralité en conflit
Les journalistes et les lanceurs d’alerte ne sont pas les seuls à subir la domination de l’agro-industrie dans les campagnes. En première ligne, les habitants des petites communes bretonnes sont directement impactés par la montée en puissance des conflits territoriaux. (...)
Certains de ces nouveaux habitants sont des populations aux revenus modestes, contraintes de s’exiler dans les terres face à la gentrification des grandes villes et des littoraux. Les locations de vacances sont également un frein de plus en plus important à l’installation de familles. En France, 3,6 millions de résidences secondaires ont un taux d’occupation moyen de 40 jours par an.
Face à cette charte, les réactions ne se sont donc pas faites attendre. Un collectif d’habitants de Canihuel, nommé « Ensemble c’est tout », ont eux aussi pris la plume pour rappeler à leur maire que chasseurs et agriculteurs ne sont pas les seuls habitants du territoire. Ils proposent d’ouvrir le dialogue pour rédiger une nouvelle charte en concertation avec tous les membres de la commune. (...)
Aujourd’hui, Morgan Large ne sais toujours pas qui est venu chez elle pour saboter sa voiture. Le Ministère de l’Intérieur a opposé une « fin de non-recevoir » au collectif d’ONG qui demandaient une protection policière pour elle et sa consoeur, Nadiya Lazzouni, qui avait reçu des menaces de mort en raison de sa religion. (...)
En Bretagne, l’agro-industrie bénéficie décidément d’une drôle d’impunité. Tandis que la journaliste courageuse, elle, continue d’entendre son téléphone sonner la nuit.