"On va toujours avoir du mal à s’entendre" avec les éleveurs, avoue sans ambages un agriculteur ivoirien. A moins que... Un programme original a été lancé pour réconcilier ces frères ennemis et pour protéger le Parc national de la Comoé, classé au patrimoine mondial.
Ici, comme dans les westerns américains, les différends entre les deux communautés sont souvent meurtriers.
En Afrique de l’Ouest et centrale, les affrontements entre éleveurs et agriculteurs, souvent nourris par des rivalités ethniques, ont fait des milliers de morts ces dernières années (Nigeria, Centrafrique, Tchad, Mali notamment). (...)
Lors de leur recherche de pâturages, les bovins abiment les cultures des populations sédentaires, Koulango (souvent propriétaires) et Lobi (souvent agriculteurs locataires), ce qui exacerbe les conflits.
Les éleveurs peuls avaient aussi tendance à emmener leurs bêtes paître dans le parc de la Comoé, surtout en saison sèche, explique le commandant D’Angouss Kissi de l’Office ivoiriren de Parcs et réserves (OIPR). (...)
"Apaiser la situation"
"Notre mission, c’est de protéger le parc. Mais nous nous sommes rendu compte que la surveillance seule ne permettait pas d’endiguer les entrées illégales de bovins. Il fallait trouver autre chose", dit-il. "Il fallait trouver des pâturages et de l’eau aux bouviers (éleveurs de bovins) à l’extérieur du parc. Tout en apaisant la situation et évitant de nouveaux conflits".
Avec le soutien de l’agence de coopération allemande GIZ, qui investit 1,2 million d’euros sur quatre ans, la Côte d’Ivoire a donc lancé un programme pilote qui prévoit la réhabilitation mais surtout la gestion concertée de points d’eau (barrages) avec des comités locaux de gestion (CLG) regroupant toutes les parties prenantes : éleveurs, propriétaires, paysans locataires ainsi que les entreprises locales ou les enseignants.
A Danoa, les villageois ont aligné des chaises en plastique sur la petite place centrale couronnée par un baobab et un neemier géants. D’un côté, entourant le roi du village en tenue d’apparat avec ses bijoux, les propriétaires koulango, qui se sont mis sur leur 31. De l’autre, avec des habits élimés, les agriculteurs lobi et les éleveurs peuls. (...)
Le ton est cordial. Chacun prend la parole à tour de rôle sans interrompre quiconque. On a mis en place des couloirs de transhumance, qui mènent au barrage et à des zones de pâturage créés ex nihilo par l’OIPR, qui y plante des herbes destinées au bétail. On discute aussi du prix d’accès à l’eau. (...)
"Aujourd’hui, agriculteurs et éleveurs se fréquentent, c’est une bonne chose. L’association a donné la force et la confiance. Les couloirs de transhumance nous aident beaucoup. Mais pour que ça continue, il faut que le barrage (qui fuit) soit réparé", conclut-il, à l’adresse du commandant Kissi.
Sourires et grimaces
Du côté des propriétaires, Amadou Ouattara, chef de terres (sorte de responsable traditionnel du cadastre), applaudit l’initiative. "On a fait des sacrifices. On a donné des terres pour les couloirs de transhumance. On a expliqué aux nôtres que c’était pour le bien commun. Il faut éviter les confits, c’est mieux pour tout le monde".
Les agriculteurs aussi se disent "heureux" : "On a moins de dégâts", témoigne Kambou Tchourité. (...)
"C’est un modèle en construction mais il faut amener les gens à se rencontrer, se parler et s’accepter. Rien que de les avoir mis à la même table, c’est déjà une victoire", explique Sanogo Issoufou, de la GIZ. (...)