
« Que va-t-il se passer pour nous, les gens de la rue ? » À Strasbourg, les personnes sans-abri s’inquiètent : la plupart des centres d’accueil de jour sont fermés et certaines maraudes n’ont pas pu être assurées. Si certaines associations continuent leurs actions solidaires, entre 3.000 et 4.000 personnes seraient en situation d’urgence.
(...) « Franchement, ça fait peur. On sera les oubliés de cette histoire. Les structures d’hébergement et les squats ne sont pas adaptés à une épidémie. On est tous collés les uns aux autres dans ces trucs-là... Et dehors, je ne sais pas si c’est beaucoup mieux. Si le virus circule entre nous, ça pourrait être grave, surtout qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas en bonne santé dans la rue. » Des mal logés sont suspectés d’être contaminés dans la capitale alsacienne. (...)
Ce soir-là, Meryl et Sabine, de l’association Les petites roues, font une maraude : « On s’organise nous-mêmes pour l’hygiène et tout. » À vélo, masquées et gantées, elles sillonnent la ville silencieuse. Elles ont toutes les deux accroché des sacs sur leur guidon, remplis de sandwichs récupérés dans des boulangeries, de soupe, de café et de thé. Elle ne savent pas si leur action est autorisée dans le cadre du confinement : « C’est très flou mais il faut absolument que les distributions alimentaires continuent, d’autant que ça doit être quasiment impossible de mendier. On ne va pas laisser les gens mourir de faim ! dit Sabine. Ce qui me préoccupe le plus c’est de contaminer quelqu’un en étant porteuse saine. »
À Strasbourg, comme dans toutes les villes françaises, de nombreux services sociaux ont cessé leur activité du jour au lendemain le 16 mars. La plupart des centres d’accueil de jour sont fermés et certaines maraudes n’ont pas pu être assurées. Meryl et Sabine passent à côté d’une autre distribution alimentaire qui a lieu ce soir-là. Une dizaine de bénévoles de Strasbourg action solidarité (SAS) sont mobilisés. Des sans-abri avancent en file indienne pour récupérer leur repas. Une personne passe après l’autre, et chacune reçoit sa dose de gel hydroalcoolique. Dominique, un des bénévoles, explique que « c’est l’association qui a imaginé ce dispositif, sans consigne de la préfecture ou de la Ville ». (...)
« On travaille gratuitement à la place de l’État et on prend des risques »
La veille, les Restos du cœur avaient prévu des sachets prêts à être emportés pour que la distribution se fasse le plus rapidement possible en évitant la création d’un attroupement. (...)
« Les associations strasbourgeoises communiquent entre elles pour établir les meilleures techniques et assurer le service. On veut aussi s’inspirer des méthodes qui ont été employées en Italie par exemple. Il faut transmettre les techniques et créer des réseaux d’entraide. » (...)
Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire en charge des solidarités, dit que « la situation est très complexe » mais que la Ville et la préfecture sont mobilisées sur le sujet. « Des personnes qui vivent dans des centres d’hébergement ou des grands squats seront redirigées vers des hôtels pour réduire la concentration dans ces lieux. Nous faisons aussi le nécessaire de notre côté, en lien avec les associations, pour faciliter l’accès à de la nourriture et à des sanitaires. Il faut garder en tête que nous non plus, on ne sait pas quelles seront les directives dans quelques jours », dit-elle, au téléphone, à Reporterre. (...)
« Les gens avaient particulièrement faim ce soir... Si on n’était pas passées, qui l’aurait fait ? On a distribué tout ce qu’on a récupéré, mais on aurait pu faire plus, il y a encore des spots où des personnes avaient peut-être faim ! »
À quelques mètres d’elles, alors qu’elles essayent de décompresser, deux policiers interpellent un groupe. Il s’agit d’une famille pakistanaise : trois adultes dont une personne âgée et trois jeunes entre douze et vingt ans. « Dégagez maintenant ! Vous ne pouvez pas rester là ! », crient les agents. La famille ne sait pas comment réagir. En pleurs, l’une des jeunes tente d’expliquer la situation : « Partout où on va, on nous dit de partir. » Le père, également les larmes aux yeux, semble à bout : « On est arrivés à Strasbourg il y a douze jours et on n’a nulle part où aller. On a peur avec ce virus et ces policiers qui nous crient dessus... » L’un de ses enfants grelotte.
Sabine décide finalement de leur payer une chambre d’hôtel... « Je les aurais pris chez moi si c’était possible mais mon appartement est trop petit et ça n’aurait pas été une bonne chose sanitairement. » Vers 1 h du matin, elle crée une cagnotte Leetchi qui a été alimentée de 900 euros en vingt-quatre heures. La famille a pu dormir à l’hôtel et souffler pendant quelques jours. « C’est du bricolage, mais on n’a pas le choix ! » (...)
Le 18 mars, la coordination s’est mise en place entre les associations, les services de l’État et la Ville. Des distributions de repas seront assurées trois fois par jour par les acteurs associatifs. Comme en période normale, des bénévoles s’en chargeront. Un planning a été imprimé et distribué pour que l’information soit diffusée au maximum. À L’Étage, lieu d’accueil associatif, des sachets repas doivent être distribués par la fenêtre midi et soir. Un salarié de cette structure explique aussi que « des sanitaires sont accessibles aux personnes qui en ont besoin, vu que les toilettes publiques sont fermées ». Le 21 mars, la préfecture du Bas-Rhin a annoncé la création d’un centre d’hébergement pour les personnes malades et vivant à la rue à Strasbourg. « Mais dans combien de temps ce centre sera-t-il prêt ? » interroge Sabine. « On aurait préféré des mesures préventives plus rapides. Là, on admet qu’un grand nombre de personnes à la rue seront malades. Pourquoi ne pas avoir réquisitionné rapidement les milliers de chambres d’hôtel vides qu’il y a à Strasbourg pour mettre les gens en sécurité ? » (...)
Entre 3.000 et 4.000 personnes sont en situation d’urgence d’après le collectif Nuit de la Solidarité Strasbourg composé de 24 associations et collectifs d’aide aux mal logés. « Plus que jamais, il faut rester solidaire, mais les plus pauvres risquent vraiment de pâtir de la situation », conclut Sabine.