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Nils Melzer, Rapporteur spécial des Nations Unies : "On ne peut plus compter sur l’état de droit"
/Unity4JFrançais- Nils Melzer est professeur de droit international et enseigne à Glasgow et à Genève. En 2016, il a été nommé Rapporteur spécial sur la torture par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Article mis en ligne le 18 avril 2021

(...) en tant que rapporteur spécial des Nations Unies, j’ai demandé à plusieurs reprises à tous les pays directement impliqués dans cette affaire - la Grande-Bretagne (►2), la Suède, l’Équateur et les États-Unis - des éclaircissements et recommandé des mesures concrètes. Aucun des quatre gouvernements n’était prêt à engager un dialogue constructif. Pire encore, la persécution et les mauvais traitements infligés à Assange se sont intensifiés au cours de mon enquête. Les violations de ses droits procéduraux en Angleterre sont devenues plus évidentes et même mes appels publics aux autorités pour qu’ils respectent les droits de l’homme ont été ignorés.

Qu’est-ce qui vous a poussé à publier un livre sur l’affaire ?

L’horreur de ne plus pouvoir compter sur l’état de droit. Au cours de mes enquêtes, j’ai découvert de graves violations des droits de l’homme - commises et tolérées par des dictatures éloignées, mais aussi par des démocraties occidentales, qui par ailleurs se vantent toujours de leur état de droit.

En fin de compte, cette affaire ne concerne pas Assange en tant que personne, mais l’intégrité de nos institutions constitutionnelles. La liberté de la presse est également en jeu (►3), et donc pas moins que l’avenir de notre démocratie. Un exemple est donné avec le sort d’Assange pour intimider d’autres publicistes, journalistes et lanceurs d’alerte qui peuvent être tentés de suivre son exemple et de porter au grand jour les sales secrets des puissants au public. (...)

L’isolement d’Assange était délibéré, intentionnel et coordonné. Son univers est devenu de plus en plus étroit, jusqu’à ce qu’il n’y ait pratiquement plus d’endroit où se retirer et qu’il soit complètement sans défense face à la poursuite de ces abus. Il s’agit d’une forme secrète d’abus, mais qui s’intensifie progressivement et de manière cumulative, très bien connue comme de l’intimidation et qui, à long terme, provoque de graves traumatismes. En fin de compte, on lui a retiré l’asile sans aucune procédure officielle, allant jusqu’à lui retirer son rasoir trois mois plus tôt afin qu’il paraisse délibérément pouilleux comme un sale gosse, lors de son arrestation par la police britannique - pour une violation relativement mineure des conditions de libération sous caution. (...)

J’ai rendu visite à Assange à Belmarsh, avec deux médecins spécialistes des victimes de la torture, examiné ses conditions de détention sur place, écouté les autorités, des avocats et des témoins et étudié ses traitements antérieurs, ses antécédents médicaux et ses conditions de vie. Assange a clairement montré les symptômes neurologiques, cognitifs et émotionnels typiques des victimes de torture mentale. Puisqu’une maladie antérieure pouvait être exclue comme cause, ces symptômes doivent avoir été causés par des facteurs externes. En raison de son isolement de longue date à l’ambassade équatorienne, nous avons pu déterminer ces facteurs avec une grande fiabilité.

C’était le but de l’isolement, de la calomnie, de l’humiliation, de l’insécurité et de l’arbitraire constant, intentionnellement mis en scène par ces États, le tout sous l’épée constante de Damoclès de l’extradition vers les États-Unis. (...)

même en Allemagne, malheureusement, on mesure deux poids et deux mesures : Alors que dans le cas de Navalny, on s’indigne à juste titre que quelqu’un soit persécuté et menacé - également sous prétexte de violation de la liberté sous caution, d’ailleurs - dans le cas d’Assange, on ferme les yeux. On peut supposer que la coopération des services de renseignement allemands avec la CIA et la NSA, au détriment de leur propre population, est un bien plus important que le maintien de l’État de droit et la défense des droits de l’homme. (...)

J’ai rapporté au Conseil des droits de l’homme à Genève et à l’Assemblée générale à New York la persécution illégale d’Assange et le refus des États concernés - mais aucune réaction. J’ai demandé à plusieurs reprises au Haut Commissaire aux droits de l’homme de se réunir en personne à ce sujet et j’ai été ignoré. J’ai appelé d’autres États à exercer une influence, mais je suis presque toujours tombé sur un mur de silence embarrassé. J’ai donc vu les institutions de l’État de droit, dont j’avais toujours cru la fonctionnalité, échouer sous mes propres yeux. (...)

Les États-Unis ne sont pas tant préoccupés par le fait de punir personnellement Assange que par l’effet dissuasif global pour les autres journalistes, publicistes et activistes. Une procédure longue et tortueuse les arrangerait bien. Alors peut-être que la Haute Cour britannique leur renverra à nouveau l’affaire en raison des nombreuses erreurs de la première instance. Et puis, dans quelques années, l’affaire ira devant la Cour suprême. (...)

. L’administration Biden ne voudra pas jouer avec la CIA et la NSA. Même sous le prix Nobel de la paix Barack Obama, les préoccupations de "sécurité nationale" avaient la plus haute priorité, les meurtres par drones ont été institutionnalisés et les lanceurs d’alerte ont été sévèrement punis, tandis que les criminels de guerre et les tortionnaires jouissaient de l’impunité. Rien ne changera sous Biden à cet égard.