La commission « industrie » (ITRE) du Parlement européen vient juste d’adopter son rapport sur le règlement relatif au Marché unique européen des télécommunications. En dépit de certaines avancées – notamment en comparaison à la proposition initiale de Neelie Kroes –, la commission ITRE et sa rapporteure, Pilar del Castillo Vera, ont cédé à la pression des lobbies des télécoms, laissant subsister d’importantes failles dans le texte. Afin que les entreprises qui dominent l’économie numérique ne mettent pas en péril l’Internet tel que nous le connaissons en cherchant à maximiser leurs rentes, ces failles devront être corrigées par le Parlement européen lors de son vote en session plénière, le 3 avril prochain.
(...) restait en suspens : la commission ITRE permettrait-elle à la neutralité du Net d’être contournée par de soi-disant « services spécialisés »3 ? Deux versions des amendements de compromis étaient présentées. La première, soutenue par la rapporteure Pilar del Castillo Vera, le groupe conservateur (PPE), les euro-sceptiques (ECR) et le groupe libéral (ALDE), autorise les opérateurs télécoms à conclure des accords avec les fournisseurs de services sur Internet (comme par exemple YouTube ou Netflix) afin de les autoriser à prioriser certains flux, à travers ces fameux services spécialisés.
L’autre amendement de compromis, déposé par les socio-démocrates (groupe S&D), défendu par Catherine Trautmann (S&D – FR) et soutenu par les Verts, aurait empêché les opérateurs télécoms d’inhiber la concurrence en concluant des accords relatifs aux services spécialisés avec les géants de l’Internet. Cette proposition visait à garantir aux acteurs plus petits et innovants la possibilité de concurrencer les entreprises les mieux établies sur la plateforme ouverte qu’est Internet, et ce sans craindre une concurrence déloyale de services et applications identiques fournis par des services spécialisés.
Malheureusement, lors du vote d’aujourd’hui, les membres de la commission ITRE sont restés sourds à la mobilisation citoyenne et ont refusé d’adopter une définition stricte des services spécialisés. (...)
« Le vote d’aujourd’hui démontre l’influence colossale qu’exerce le lobby des télécoms sur le processus législatif européen. Les failles importantes qui subsistent dans le règlement devront être corrigées lors du vote final du Parlement européen, qui aura lieu dans quelques semaines. Les nombreux eurodéputés ayant proposé des amendements constructifs en commission ont désormais l’occasion d’en déposer de nouveaux, en dépassant les clivages politiques, afin d’assurer que l’intérêt général prime sur les intérêts commerciaux à court terme de l’industrie des télécoms » déclare Miriam Artino, en charge de l’analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.
« Ce qui est en jeu dans ce règlement n’est autre que l’avenir de ce bien commun qu’est Internet. Allons-nous laisser les gros opérateurs télécoms et les géants de l’Internet fixer les règles du jeu dans l’économie numérique, ou les législateurs adopteront-ils des principes contraignants pour garantir qu’Internet demeure une plateforme décentralisée pour la liberté d’expression et l’innovation où citoyens et nouveaux entrants peuvent rivaliser avec les acteurs les mieux établis ? C’est la question fondamentale à laquelle devra répondre le Parlement européen lors du vote en plénière, et celle que les citoyens doivent poser à leurs représentants à Bruxelles dans la perspective des élections européennes. » conclut Félix Tréguer, co-fondateur de La Quadrature du Net.