Depuis des années, Naples offre deux visages : capitale culturelle au passé communiste et ouvrier, elle est aussi la ville de la Camorra, des petits boulots et de la contrefaçon. En contribuant à l’augmentation du chômage et à la disparition des emplois industriels, la crise économique a fait de la précarité et de la débrouille le lot d’un nombre croissant de ses habitants. Un avant-goût de ce qui pourrait survenir dans le reste de l’Europe.
« Moyen Age capitaliste »
Qui veut prendre la mesure de la crise européenne, et peut-être essayer d’en prédire les développements, se doit de venir ici, dans cette « ville poreuse », comme l’a définie Walter Benjamin en une heureuse métaphore qui comparait les Napolitains au tuf dont est bâtie leur cité. Une ville où des centaines de laboratoires clandestins produisent en toute quiétude des contrefaçons diverses et variées, des CD piratés aux faux sacs Louis Vuitton ou Prada. Une ville où un phénomène musical, celui des chanteurs dits « néomélodiques », a son propre circuit de production et de commercialisation, fréquemment utilisé par la Camorra pour blanchir de l’argent ou même pour faire passer des messages. (...)
Joseph Halevi en est convaincu : l’avenir de l’Europe peut se lire ici. Ce chercheur à l’université de Sydney, signature réputée du quotidien Il Manifesto, annonce, pour l’ensemble du Vieux Continent, le début d’un « Moyen Age capitaliste ». Comment l’imagine-t-il, ce nouvel âge de l’obscurantisme ? « Comme une grande Naples, où, chaque matin, les habitants enfilent leur veste et descendent dans la rue pour gagner leur pain de la journée. » L’art de la débrouille typiquement napolitain, tel que l’ont immortalisé des dizaines de films, deviendrait donc un modèle européen ? (...)
Ce qu’il raconte fait frémir : « Quand je suis arrivé à Naples, il y a dix-sept ans, j’ai trouvé dans les quartiers espagnols une situation pire que celle que je connaissais à Turin, dans le quartier multiculturel de San Salvario. Mais, même avec les immigrés, il existait une médiation informelle des conflits et un respect réciproque, fondé sur le fait que tout le monde était précaire et devait gagner sa vie. Aujourd’hui, l’économie grise, qui permettait à des milliers de personnes de survivre grâce à une multitude de petits boulots, ne tient plus. Du coup, cette médiation a sauté. Les pauvres se sont mis à se concurrencer entre eux. Les incidents liés au racisme se multiplient comme jamais auparavant ; des personnes qui, il y a encore quelque temps, menaient une vie normale se sont clochardisés (...)