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Migrants, deux flics présumés ripoux jugés à Montgenèvre
Article mis en ligne le 28 juillet 2020

Deux policiers de la Police aux frontières (PAF) accusés de malversations se sont retrouvés, le 2 juillet, à la barre des accusés devant le tribunal de Montgenèvre

Ce procès tant attendu fera certainement date. Deux « ripoux » de la police aux frontières (PAF) se sont en effet retrouvés, le 2 juillet dernier, devant la cour du tribunal correctionnel de Gap. François Maison, gardien de la paix âgé de 51 ans, était jugé pour des « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » sur un adolescent malien passé en France en août 2018. Son binôme âgé de 30 ans, Joffrey Carron, adjoint de sécurité dont le contrat n’est pas renouvelé depuis février dernier, était poursuivi pour « usage de faux » et « soustraction de biens d’un dépôt public », en l’occurrence 90 euros. (...)

Depuis plusieurs années déjà, les associations de défense des droits des étrangers -en particulier Tous Migrant, une association briançonnaise œuvrant à l’accueil des exilés- ont multipliés les signalements au procureur de la république de Gap. Plus de cent témoignages ont été recueillis concernant les violences policières et les vols subis par les personnes arrêtées à Montgenèvre, une station de ski des Hautes-Alpes située à la frontière franco-italienne. D’après les statistiques tenues quotidiennement par Tous Migrants, du 1er janvier 2018 au 31 mai 2020, 7396 migrants sont passés par le Refuge solidaire de Briançon (1) dont 2312 mineurs isolés.

Mais pour qu’une enquête de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) soit diligentée, il aura fallu un rapport interne de Jérôme Boni, le nouveau patron de la PAF de Montgenèvre, remis en janvier 2019 au procureur de Gap par la direction départementale de la PAF. Ce rapport met l’accent sur une série récurrente de dysfonctionnements lors des interpellations de « migrants » dont l’argent disparaissait, ainsi que sur le détournement de l’argent des contraventions délivrées à des automobilistes étrangers passant la frontière. (...)

Difficile en effet de faire l’autruche devant les témoignages diffusés sur les réseaux sociaux, et surtout un enregistrement audio effectué à la barbe de policiers de la PAF par Moussa (2), un mineur isolé malien, lors de son refoulement. (...)

au cours de l’audience, la bonne foi de Moussa a été soulignée par Isabelle Defarge, la présidente du tribunal de Gap. Après avoir résumé les faits, lu des extraits de signalements figurant au dossier et ordonné l’audition du fameux enregistrement, la juge a mit les pieds dans le plat. S’adressant à François Maison, qui n’en menait pas large à la barre, elle lui lançait d’un ton ferme : « Il vous dit que son argent a disparu et vous me dites que vous entendiez ça très souvent dans le discours des migrants à cette époque. Vous auriez pu lui laisser le bénéfice du doute ! »

— Ça n’arrivait pas qu’à Montgenèvre, répondit, penaud, François Maison au sujet des vols.

— Vous vous enfoncez, Monsieur.[…] Vous appelez ça discuter, vous ?

— J’étais exaspéré, c’était très tendu avec le problème migratoire. […] J’ai eu des phrases malheureuses, ce n’était pas malin. »

Concernant les coups, dont les bruits sont perceptibles dans l’enregistrement, le gardien de la paix affirme avoir repoussé le migrant vers un panneau métallique même s’il reconnaît ne pas s’être senti menacé par Moussa et Marco à ce moment-là. « On entend clairement plusieurs coups ! », contredit la juge, qui cherche à savoir « dans quel cadre procédural » se situe alors l’agent. (...)

Pugnace, la juge Defarge revient sur la plainte de vol :« étiez vous habilité à prendre les plaintes, toutes les plaintes ? » La réponse est affirmative.

– Pourquoi ne l’avez -vous pas prise ?

Parce qu’on ne peut pas prendre toutes les plaintes de ce genre d’accusation qui sont trop fréquentes », répondit le policier.
Pourquoi, sur quel fait précis et dans quel cadre juridique refusiez-vous de prendre la plainte et décidiez-vous derechef d’un aller pour Tripoli ? »
« Aucune, c’est comme ça que l’on pratique même si je regrette d’être allé trop loin pour la menace d’expulsion vers la Libye », répondit-il penaud.

Il s’est ensuite efforcé de nier les accusation de vol en affirmant que les sacs des migrants étaient tous rendus à leurs propriétaires après après avoir été fouillés dans le bureau où ils étaient entreposés à l’arrivée.

Quant à son co-équipier Joffrey Carron, il a fait profil bas durant toute l’audience, redoutant certainement que le ciel ne lui tombe sur la tête. La juge Defarge est en effet une esthète en matière d’interrogatoire. Elle poussera d’ailleurs Carron dans ses retranchements concernant les amendes qu’il aurait encaissé -plusieurs centaines d’euros environ chaque mois dont les 90€ qui figurent dans le dossier. Pour sa défense, l’adjoint de sécurité prétendra que les billets sont passés dans le lave linge alors qu’il les avait oublié dans la poche de son pantalon. Il aurait pourtant dû les remettre le jour même de leur réception à la régisseuse de la PAF de Montgenèvre -par ailleurs compagne de François Maison- pour qu’elle les consigne sur le livre de compte…

Assis sur le banc des plaignants en s’efforçant de comprendre les échanges entre la juge et les prévenus, Moussa a savouré dignement la scène tout en maîtrisant son émotion. Il n’a exprimé qu’un souhait avant d’enter dans la salle l’audience : « Je veux seulement qu’on me rende mon argent et que plus aucun migrant ne subisse le même sort que moi ». Parallèlement, deux policiers assis au fond de la salle n’arrêtaient pas de signifier, en levant les yeux au ciel tout en remuant leur tête, leur désapprobation des graves entorses à la déontologie de leurs collègues. (...)

Cependant, le procureur de la république de Gap, Florent Crouhy, se lança dans une rhétorique digne d’un jésuite pour expliquer pourquoi il n’avait pas déféré les prévenus devant la cour d’assise. (...)

Le jugement, qui sera rendu le 30 juillet prochain, sonnera probablement comme un glas pour des agents de la PAF habitués aux entorses au droit des étrangers aux frontières. Depuis 2017 en effet, les ONG de défense des droits humains n’ont eu de cesse de dénoncer publiquement les graves atteintes aux droits des personnes, sans aucune suite judiciaire ou administrative jusque là.