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L’Humanité
Migrants. Les associations se réinventent pour résister
Article mis en ligne le 6 février 2018

Souvent seules aux côtés des migrants face aux politiques répressives, les associations pallient le désengagement des services publics, de l’arrivée des exilés à leur inclusion sociale.

S’il existait un guide exhaustif des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) s’occupant des exilés, cet annuaire prendrait des airs de Bottin, tant les associations se créent ou renforcent leurs services au rythme du désengagement des services publics. Pour Florent Gueguen, la situation est édifiante. « Qui fait le premier accueil, apporte les aides d’urgence ? Qui oriente vers un hébergement ? Qui accompagne dans les procédures administratives, à la préfecture ? Qui propose des cours de français, des rencontres culturelles, de l’aide à l’accès à l’emploi et à la formation ? » demande le directeur de la Fnars, porte-parole de 850 associations et organismes de lutte contre l’exclusion. « L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) coordonne bien le dispositif national d’accueil, la planification du nombre de places d’hébergement, la tarification, les maraudes. Mais, sur le terrain, il n’y a plus de services publics. À l’image de ce qui se passe dans la lutte contre l’exclusion, ces missions régaliennes sont déléguées totalement au secteur associatif, financé pour le faire. » De fait, même le secours en mer a été pris en charge par une organisation de militants à l’indignation courageuse, SOS Méditerranée (voir page IV)

Rien n’avait été anticipé pour la crise migratoire

Au quotidien, l’action associative se déploie selon deux modalités. Il y a, schématiquement, d’un côté, les organisations gestionnaires de dispositifs financés par l’État ou les collectivités locales, selon leurs compétences. Il en va ainsi pour les centres d’accueil et hébergement d’urgence de demandeurs d’asile (Cada et Huda), gérés après appel d’offres par des réseaux tels France terre d’asile, Coallia, Emmaüs Solidarité, dont les salariés assurent le suivi administratif et social des migrants. Et puis, il y a les associations non gestionnaires des dispositifs d’État, mêlant grands réseaux de solidarité (Cimade, Gisti, Secours populaire ou catholique, MSF, Médecins du monde, l’Auberge des migrants…) et quantité de petites associations locales. (...)

Cette course derrière les urgences ne s’est pas faite sans heurt pour les associations, leurs militants, bénévoles et salariés. La circulaire Colomb, dénoncée par vingt-sept associations parce qu’elle « remet en cause le principe légal d’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence » en instaurant « un véritable tri selon la nationalité ou le statut administratif des personnes », démontre que l’État tente de les faire passer d’un rôle de délégataires de services publics, respectueux de leurs valeurs et éthique, à un rôle de simples ­exécutants des décisions gouvernementales. L’inflexion passe plus pernicieusement par des diminutions constantes de subventions pour privilégier les passations de marchés publics. Les associations historiques se retrouvent en concurrence avec de nouvelles structures plus ou moins téléguidées politiquement, souvent moins chères car moins-disantes en accompagnement social. Elles se retrouvent aussi face à une financiarisation des financements. Ainsi, Adoma, société d’économie mixte, a recouru à 100 millions d’euros en titres à impact social souscrits par six investisseurs privés, pour boucler son financement de 7 700 places en hébergement d’urgence. Pour l’heure, la grande majorité de ces ONG ont choisi d’en revenir à leur projet associatif initial pour mieux résister.

Mais l’ESS fait aussi « du bien et du mal », résume une éducatrice spécialisée, restée anonyme pour éviter les retours de bâton. « On le voit bien dans les Alpes-Maritimes. Face à la grande détresse des migrants, notamment des mineurs, des gens se constituent en association pour leur venir en aide, comme dans la vallée de la Roya. Mais il y a aussi des structures qui préfèrent ne pas employer de travailleurs sociaux, trop chers, et font appel à des bénévoles. Fini l’accompagnement social. C’est de l’assistance, de la charité, avec parfois des maîtres chiens pour accueillir des mineurs. » (...)

Les migrants ont des envies et des compétences à valoriser
L’ESS s’est pour autant adaptée et tente d’innover, dans la limite de l’accès légal aux papiers. C’est le cas de Zinga. Ce « mouvement » est né en 2012, de la rencontre de trois spécialistes du digital, de l’accompagnement de porteurs de projet et du lien social et viral, à la fibre d’entrepreneurs sociaux. Une « communauté » revendiquant 20 000 membres mêlant immigrants, hôtes et accueillants locaux, guidée par 19 salariés, essaime désormais un peu partout en France et à l’étranger ses activités d’accès à l’emploi (incubation d’activités), au logement (500 migrants logés chez l’habitant bénévole et formé via la plateforme Web Calm), à la culture et à la sociabilisation (800 événements par an). « On ne travaille pas pour les réfugiés, mais avec eux, souligne Alice Barbe, l’une des fondatrices. Quand ils arrivent, on ne leur demande pas de raconter une énième fois leur parcours, mais de quoi ils rêvent et ce qu’ils veulent faire. Ils ont plein d’envie et de compétences à valoriser. Et les gens ne viennent pas pour les aider, mais pour les accompagner. Notre travail est de mettre tout ce monde en réseau en fonction de ce qu’ils ont en commun : un hobby, des compétences, des envies. »

Certaines structures de formation ont elles aussi ouvert leurs actions aux exilés.(...)