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Méthanisation : rencontre avec ces agriculteurs qui choisissent de produire de l’énergie
Article mis en ligne le 26 février 2020
dernière modification le 25 février 2020

Pour les agriculteurs, la méthanisation est devenue une nouvelle source de revenus. Mais des cultures sont aussi utilisées pour produire de l’énergie, au détriment de l’alimentation. Reportage en Normandie, dans les coulisses du gaz « vert ».

Jérôme enchaîne les allers-retours avec son tractopelle. D’un côté, des tas d’herbes décomposées, de maïs et de déchets. De l’autre un énorme récipient, au bord des cuves circulaires du méthaniseur. 46 000 kg de « déchets » viennent d’être ajoutés, indique l’écran digital qui surplombe le bol. C’est le régime quotidien de ce méthaniseur, qui transforme ces matières animales et surtout végétales en électricité. De quoi alimenter le réseau électrique, avec l’équivalent de la consommation moyenne de 1000 foyers. (...)

Voilà deux ans que Jean-Pierre Deshayes s’est lancé dans l’aventure de la méthanisation, dans le Perche (Orne). A l’époque, son projet avait suscité l’opposition d’habitants de la commune. Jean-Pierre Deshayes est un « gros » agriculteur : 480 hectares de terres dont 360 en cultures, quatre salariés, des porcs sur paille en sous-traitance, 130 taurillons destinés au marché de la viande. Et deux méthaniseurs, qui lui rapportent désormais pas moins de 50% de ses revenus. « Il est aujourd’hui plus utile de produire de l’énergie décarbonée que de produire des produits laitiers et de la viande, estime-t-il. Cela correspond à un besoin de notre territoire. »
Des cultures végétales destinées à la méthanisation

Et un bon moyen de valoriser des déchets ? En partie seulement : sur les 42 tonnes qui approvisionnent son méthaniseur, Jean-Pierre Deshayes ne met que 10 tonnes de fumiers, et 3 à 4 tonnes de déchets de céréales provenant de la coopérative agricole ou de marc de pommes d’une cidrerie locale. Le reste est constitué d’herbe (20 tonnes) et de maïs (8 tonnes). La recette pour faire tourner les machines de façon optimale valorise les végétaux plutôt que les matières animales. (...)

L’agriculteur produit donc une partie de ses céréales, du maïs essentiellement, pour alimenter directement son méthaniseur. Depuis 2016, un décret interdit de mettre plus de 15% de culture principale dans un méthaniseur. Mais les cultures dites « intermédiaires », à vocation énergétique (Cive), semées et récoltées entre deux cultures principales alimentaires, ne rentrent pas dans ce calcul des 15%. Elles peuvent donc venir alimenter les unités de méthanisation.
Produire de l’énergie plutôt que soutenir l’élevage intensif ?

Certains y voient un système de cultures dévoyées, dont l’utilité n’est plus de nourrir du bétail. Jean-Pierre Deshayes rappelle, lui, l’impact carbone de l’élevage intensif et de la production de lait. (...)

Autre avantage perçu par l’agriculteur : l’utilisation des digestats du méthaniseur comme engrais pour ses champs. Après avoir macéré dans les énormes cuves étanches, les végétaux et les matières animales tombent dans le fond de la cuve. Les liquides dont s’échappe une odeur de méthane sont récupérés dans une grande cuve circulaire avant de rejoindre les réserves installées au plus près des cultures. Les matières sèches sortent sous un hangar : c’est une sorte de compost, sans odeur, résultat du travail des bactéries qui ont agi dans le méthaniseur. Ces deux digestats peuvent être répandus sur les cultures. « En utilisant un hectare de maïs, on peut fertiliser un hectare de culture », explique le chef d’exploitation. (...)

Grâce à ce procédé, Jean-Pierre Deshayes n’achète quasiment plus d’engrais chimiques à la coopérative agricole. « La vie microbienne des sols renaît », estime-t-il. Grâce à une nouvelle rotation de ses cultures et à un meilleur assolement dû aux maïs, il a aussi réduit de 20 000 euros ses achats de produits phytosanitaire (soit une baisse de 30%). Pas question pour autant de passer en bio : le glyphosate lui permet d’éviter de retourner les sols, donc de garder du carbone dans le sol, pointe l’agriculteur. (...)

Avec son installation, Jean-Pierre Deshayes a conscience de sortir des circuits habituels de l’agriculture conventionnelle, des relations avec la coopérative agricole. « Le système, tu ne l’intéresses plus ! Faut-il sans cesse s’agrandir pour produire plus de lait et payer au final Lactalis ? J’ai des copains qui ont besoin de cinq poulaillers, aujourd’hui, pour maintenir les revenus qu’ils avaient autrefois avec trois poulaillers ! » (...)

Le méthane est récupéré par de grands tuyaux et transporté jusqu’à l’autre bout de la cour. C’est dans cette salle, très bruyante, qu’il est transformé en électricité grâce à plusieurs moteurs. L’électricité est ensuite transférée directement sur le réseau. L’énergie produite par le moteur vient aussi chauffer le réseau d’eau de la maison de l’agriculteur. Et bientôt, il permettra de sécher la paille ou peut être du bois entreposé dans l’immense hangar construit à côté. Le gaz produit par la méthanisation pourrait lui aussi être valorisé dans la région, pour alimenter les chaudières de gaz naturel. Mais il faudrait alors développer des infrastructures pour l’acheminer. (...)

A terme, l‘agriculteur compte arrêter la production de taurillons. « La méthanisation donne un sens à notre exploitation », souligne-t-il. « Ce n’est pas parfait, mais cela n’existe pas d’être parfait à 100%. Est-ce que j’ai plus d’utilité socialement qu’en produisant de la viande ? »

« Avec la méthanisation, il faut trouver le bon équilibre, et une certaine sagesse ! » (...)

Échapper aux groupes financiers

38 exploitations agricoles (plus de 70 agriculteurs) se sont associées dans une SAS pour monter le projet et échapper aux « groupes financiers multinationaux », comme le dit Yves Lebaudy. « Les installations sont détenues à 90 % par des agriculteurs, le reste par des acteurs locaux. C’est une vraie volonté politique. » Chacun a mis en moyenne 40 000 euros dans la SAS. Le reste étant financé par des aides publiques (Feder, Ademe pour 2,5 millions d’euros) et les prêts de quatre banques. Au total, le projet coûte 11 millions d’euros. En huit ans, l’investissement sera amorti.

« C’est lent pour l’industrie, mais c’est peu pour les agriculteurs ! On est normalement plus sur 15 à 20 ans pour un jeune qui s’installe maintenant ! » Les exploitants agricoles profiteront aussi des digestats qu’ils épandront sur leur terres, grâce à un plan d’épandage collectif : « C’est plus heureux de voir des agriculteurs épandre du digestat venant de déchets alimentaires industrielles et agricoles que de devoir acheter de l’engrais qui vient de l’étranger et issus de la pétrochimie. » Avec à la clé, une réduction des gaz à effet de serre. (...)

L’argument écologique a convaincu l’agricultrice Brigitte Lhullier, installée à 10km du site de méthanisation. « Nous avions déjà des panneaux solaires sur des bâtiments de notre ferme, une chaudière à bois déchiqueté. Nous avions planté beaucoup de haies, mettions moins d’engrais sur certaines parcelles... Produire une énergie renouvelable, c’est innovant ! » (...)