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Mediapart
#MeToo, une révolution fragile ?
#feminisme #femmes #metoo #patriarcat #capitalisme
Article mis en ligne le 28 juillet 2023
dernière modification le 27 juillet 2023

« Révolution », « vibration », « émancipation »… Quelle que soit la manière de baptiser le moment féministe contemporain, il se trouve, cinq ans après #MeToo, à la croisée des chemins, fragilisé pour des raisons endogènes et contesté par ceux qu’il dérange.

« Il ne serait pas facile de dire quand et comment la révolution a commencé, après le premier hashtag de #MeToo, ou quand une centaine de travailleuses du sexe occupèrent l’église Saint-Nizier de Lyon en 1975, ou encore lorsque la féministe noire Soujourner Truth se leva à la Convention des femmes blanches à Akron, en 1851, et cria un retentissant “Ne suis-je pas une femme ?” en défendant pour la première fois de l’Histoire la liberté et le droit de vote des femmes racialisées.

Cela pourrait être un peu plus tôt, ou un peu plus tard. Tout dépend du point de vue : individuel ou cosmique, national ou planétaire, partie prenante d’une histoire de résistance qui vous précède ou qui vous suit. Il n’est pas aisé de savoir comment un processus d’émancipation collective commence. En revanche, il est possible de sentir la vibration qu’il produit dans les corps qu’il traverse. »

Cette phrase de Paul B. Preciado dans son dernier ouvrage, Dysphoria Mundi (Grasset, 2022), synthétise ce qui se joue aujourd’hui autour du moment féministe contemporain. (...)

Cette vibration est celle d’un mouvement de politisation des corps propre aux époques où des mondes basculent. (...)

  • on mesure rarement l’importance de la révélation, c’est qu’en dépit d’une transformation radicale de la condition féminine sur le plan social et par-delà tous les principes égalitaires gravés dans le marbre des textes de loi, les femmes étaient restées des corps à disposition ». (...)
  • « annonce un profond réagencement des rapports entre les femmes et les hommes, c’est-à-dire aussi la possibilité d’un renversement du système patriarcal ». (...)
  • cette révolution féministe s’inscrit dans un ébranlement plus global des rôles genrés comme des identités sexuées et sexuelles. (...)

L’histoire rappelle toutefois qu’une révolution, parfois avant même d’être reconnue comme telle, est confrontée à une multitude d’écueils de nature différente : empêchement, inaboutissement, emballement, détournement…

En 2019, Chloé Delaume, dans son livre Mes bien chères sœurs (Le Seuil, 2019), écrivait : « L’époque est historique et ma jouissance totale. » Toutefois, pile un demi-siècle auparavant, en 1969, la philosophe et romancière Monique Wittig, longtemps éclipsée, mais de plus en plus republiée et abondamment lue, jugeait déjà dans Les Guérillères : « Elles disent qu’un grand vent balaie la terre. Elles disent que le soleil va se lever. »

Le sentiment que l’époque bascule en matière de relations entre les sexes et entre les genres ne paraît donc pas encore synonyme de matins féministes qui chanteraient définitivement. (...)

Une révolution désamorcée ? (...)

récupération, parfois sous forme de gadgétisation, du moment féministe est sensible en de nombreux lieux (...)

Au risque de la récupération commerciale ou académique de la charge subversive du féminisme contemporain s’ajoute celui d’une institutionnalisation de celui-ci, alors que le gouvernement actuel multiplie les effets d’annonce sur le sujet, tout en n’hésitant pas à mener une réforme des retraites dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle sera défavorable aux femmes. (...)

Une révolution entravée ? (...)

La sociologue Irène Théry dans son ouvrage Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle (Le Seuil, 2022), « on pense en France que l’enjeu de #MeToo est uniquement l’écoute de la souffrance des victimes et la répression des violences sexuelles, alors qu’en réalité le mouvement participe aussi d’une transformation différente et bien plus vaste : recomposer la distinction entre le permis et l’interdit et contribuer à établir de nouvelles références et valeurs communes, de nouvelles mœurs, en un mot une nouvelle civilité sexuelle, pour tout le monde ». (...)

Une révolution contestée ? (...)

L’histoire enseigne que tout mouvement et moment d’émancipation des femmes provoque des réactions qui visent à freiner, éteindre, voire revenir sur les avancées en cours. (...)

l’exemple français d’une récente offensive médiatique masculiniste, incarnée par Éric Zemmour et portée par l’empire Bolloré, rappelle que les industries culturelles et les puissances de communication demeurent majoritairement entre les mains d’hommes aux positions conservatrices, voire réactionnaires.

La déstabilisation actuelle de l’ordre masculin est d’ailleurs telle que la résistance à #MeToo risque de ne pas se contenter d’une bataille culturelle, mais d’utiliser d’autres armes, comme peuvent le faire craindre le geste et le manifeste misogynes d’Elliot Rodger, auteur de la tuerie d’Isla Vista en Californie en 2014, devenu le symbole, aux yeux de ses épigones, d’une prétendue « résistance » masculine à la tout aussi prétendue prise de pouvoir de femmes. (...)