
En tentant de dialoguer, débattre sur des arguments factuels, avec les exploitants agricoles de la FNSEA, l’écrivain, réalisateur, poète et militant écologiste Cyril Dion n’a récolté qu’insultes et railleries sur les omnipotents mais anonymes réseaux sociaux. Le paysan que j’ai été et reste dans l’âme, lui apporte son modeste soutien.
Cette lettre lui a été directement adressée mais est publiée ici car aussi destinée à montrer à ses insultants détracteurs qu’il n’est pas seul à penser que l’agriculture industrielle est mortifère.
Bonjour M. Dion,
Ancien paysan et ancien journaliste, je soutiens à 100 % votre démarche tout en vous faisant part de mon découragement de ne pouvoir me (nous) faire entendre. (...)
Paysans bio pendant 20 ans avec mon épouse, éleveurs en montagne sur une petite ferme de 15 hectares, nous avons réussi à vivre de notre travail, minorant l’aide de la PAC (9% de notre chiffre), tout en respectant et intégrant nos animaux et notre environnement, pour, au final, établir des liens très forts avec les hommes et les femmes qui achetaient nos produits en direct. Mais le poids idéologique et médiatique de nos semblables, petits paysans, écologistes par conviction, souvent innovateurs, reste désespérément faible face au rouleau compresseur de la FNSEA co-gestionnaire du ministère de l’Agriculture et de toutes les structures du pouvoir agricole. Même après 20 ans de travail acharné d’une terre difficile (mais pas ingrate dans ses fruits), l’expertise de l’élevage en soins non allopathiques, et finalement une réussite économique non dépendante des aides, nous restons considérés comme des originaux, des hurluberlus, pour les qualifications les plus poétiques.
Votre argumentation est parfaitement structurée et sourcée. Comme pour toutes les catastrophes en cours (dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité naturelle et cultivée, pollutions et maladies, pandémies liées au bouleversement des milieux naturels...) les causes et conséquences sont très bien documentées par des milliers de scientifiques. Cela ne nous empêche pas d’avoir des Trump ou des Bolsonaro qui "brûlent" en place publique ces preuves et encouragent les destructions, voire les meurtres de militants. Votre argumentation qui est, sans un retrait, la mienne, n’a donc aucun poids face à ce genre de personnages et leurs partisans, dont une large partie croit dur comme fer que la Terre est plate. (...)
Quant à débattre (je ne parle même pas de convaincre) avec les exploitants agricoles de la FNSEA, pour ne pas dire les exploiteurs de la terre et de la vie1, je vous souhaite bien du courage. Là encore, ils ont les armes de destruction massive du capitalisme siliconé des réseaux sociaux ; des agences de com payées par les lobbies, FNSEA en tête ; des grands médias assujettis aux milliardaires qui les possèdent et qui tirent des profits immédiats des catastrophes en cours. Même l’écologie politique est ingérée, digérée, ultra transformée comme un vulgaire hamburger de chez McDonald’s à l’image de madame Pompili qui vient de manger son premier chapeau avec les funestes néonicotinoïdes. Les abeilles et les apiculteurs n’ont pas plus de poids politique que nous. (...)
L’agriculture industrielle n’est que l’expression d’un système capitaliste qui fait de la maîtrise de l’alimentation, indispensable à la vie, un enjeu de pouvoir absolu. (...)
L’agriculture industrielle n’est que l’expression d’un système capitaliste qui fait de la maîtrise de l’alimentation, indispensable à la vie, un enjeu de pouvoir absolu. (...)
Lorsque je désespère, je tombe souvent sur un papier (Reporterre, Bastamag, Mediapart et ses blogs...), un film comme "Demain" ou un.e paysan.ne qui m’empêche de tomber dans la sinistrose et m’aide à garder l’esprit de combat, de révolte au service des jeunes générations qui veulent prendre soin de la terre et des animaux qu’elle porte, nous y compris. Mais les îlots de fermes bio, les oasis de réserves naturelles, les paysans et militants essaimés dans ces territoires en résistance ne suffiront pas à repousser le désert. Partout dans le monde, la paysannerie est laminée pas l’agro-industrie et les pouvoirs financiers et politiques associés.
Nos fourches, pour peu qu’elles se lèvent contre cette caste, et quel que soit l’appui des études scientifiques indépendantes, n’ont que peu de poids face au cynisme de cette oligarchie. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut baisser les bras, courber l’échine. (...)