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Les usages de la psychologie à l’école : quels effets sur les inégalités scolaires ?
Article mis en ligne le 11 septembre 2020

La référence à la psychologie dans l’enseignement est ancienne et durable, comme le rappelait J.-C. Passeron : « La forte liaison, pour ne pas dire le mariage, qu’a nouée dès le xviiie siècle le pédagogue (praticien ou théoricien) avec la réflexion psychologique (et plus tard avec la recherche psychologique) tend aujourd’hui encore [...] à maintenir le sociologue (ou l’historien) dans le rôle périphérique du cousin indésirable ou du rôdeur douteux » (Passeron, 1991, 347-354). Du fait de cette tradition, la tendance actuelle à la psychologisation des rapports de travail dans beaucoup de domaines professionnels se trouve amplifiée dans l’enseignement.

Notre propos vise à décrire et à comprendre la participation des dispositifs pédagogiques imprégnés de psychologie dans le développement d’inégalités d’appropriation des savoirs scolaires. Pour cela, la première partie expose les divers référents théoriques psychologiques qui, en se cumulant et en s’opposant, constituent aujourd’hui un « terreau » de conceptions qui fondent des injonctions ou des interdits pédagogiques. La deuxième partie de l’article met en évidence l’individualisation-décollectivisation croissante du travail scolaire des élèves qui crée les conditions pour que prédominent les interprétations psychologisantes de l’expérience scolaire. Celles-ci renforcent en retour certaines conceptions de l’individualisation-décollectivisation. Enfin, la troisième partie montre que certains dispositifs pédagogiques comme la création de dynamiques de groupes et des formes de motivation des élèves conduisent à envisager les relations pédagogiques sous un angle interpersonnel, voire affectif, davantage qu’institutionnel ou statutaire, ce qui produit une psychologisation des rapports élèves/enseignants. (...)

Notre propos s’appuie sur une recherche qui articule une sociologie des dispositifs pédagogiques (et de ce qui les influence) et une sociologie des activités de l’élève (Bonnéry, 2007). L’enquête de terrain a consisté à suivre pendant près de deux ans vingt-deux élèves de zep connaissant des difficultés scolaires en cm2 et au collège. Ce suivi dans la durée a permis de saisir la psychologisation de l’enseignement, comme ses effets sur le devenir des élèves. (...)

Tout au long de l’article, nous mobiliserons des exemples issus de ce travail d’enquête. (...)

contrairement au discours convenu, l’individualisation de l’enseignement ne procède pas d’une appropriation par chaque élève des savoirs en jeu dans la séance. Il s’agit plutôt d’une mise en activité décollectivisée qui organise de fait la classe comme un marché concurrentiel (la compétition inhérente à l’« égalité des chances ») dans lequel les activités de résolution de problèmes proposés ne peuvent en fait être menées à bout que par les élèves qui disposent de « pré-requis » (...)

ceci se joue à l’insu des enseignants, justement au travers de la synergie entre psychologisation et individualisation des conceptions de l’enseignement qui se traduit par un renvoi à l’individu de la responsabilité de mobiliser spontanément les postures d’apprentissage et masque leur nécessaire transmission par l’école. Dans tous les cas, le dispositif pédagogique n’est conforme ni aux préceptes « socio-constructivistes » ni à ceux de « découverte individuelle », pas plus qu’à une réelle leçon magistrale : il se termine par une leçon magistrale déguisée, quand l’enseignant respecte l’injonction à ne pas nommer lui-même le savoir en le faisant nommer par les quelques « bons » élèves. Cette pratique est caractéristique des façons d’enseigner les plus répandues aujourd’hui. (...)

Tiraillés entre intention de démocratisation scolaire et participation de fait à la sélection, les enseignants ne peuvent être qu’en demande de modèles de dispositifs pédagogiques. Mais, ancrés dans une société polarisée sur l’individu et reposant sur des théories psychologiques, ceux-ci ont tendance à ne concevoir l’activité de l’élève que sous l’angle de la responsabilité de ce dernier dans l’apprentissage et in fine à accréditer une interprétation culpabilisatrice en cas d’insuffisantes performances. On retrouve là de façon actualisée des effets de « légitimation » de la hiérarchie scolaire qui masque ses déterminants sociaux. (...)

L’enseignement pourrait être pensé pour identifier, avec les élèves, ces malentendus afin de les surmonter. Est posée ici la question des moyens mobilisés pour la formation des enseignants, pour les soutenir dans leur activité plutôt que de leur proposer des discours psychologisants sur leurs performances et leur rentabilité qui ne peuvent conduire qu’à les culpabiliser à leur tour. (...)