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Les milliers de morts du secteur agricole italien lui donnent des allures de zone de guerre
Article mis en ligne le 27 août 2018

Soumayla Sacko était un syndicaliste malien âgé de 29 ans. Pendant deux ans, il avait participé à l’organisation de travailleurs agricoles migrants comme lui-même pour le syndicat Unione Sindacale di Base (USB). Comme la plupart des ouvriers agricoles saisonniers, M. Sacko vivait et travaillait dans des conditions effroyables et habitait la tristement célèbre tendopoli (village de tentes) de San Ferdinando à Rosarno, dans la région de Calabre au sud de l’Italie. Le 2 juin 2018, lui et deux de ses collègues ramassaient de vieilles tôles d’une usine abandonnée afin de les mettre à profit dans leur logement à peine salubre lorsqu’un habitant de la région est arrivé en voiture et leur a tiré dessus à quatre reprises avec un fusil. M. Sacko, touché à la tête, mourut peu de temps après son arrivée à l’hôpital. L’un de ses amis, touché à la jambe, réussit à s’échapper et permit par la suite d’identifier le coupable.

L’agriculture représente environ 2,2 % du PIB de l’Italie (1672 milliards d’euros ou 1859 milliards de dollars US), mais les dizaines de milliers de travailleurs agricoles qui produisent cette richesse, à l’instar de M. Sacko, n’en voient guère la couleur. Les travailleurs, en particulier les travailleurs migrants qui n’ont généralement pas de papiers et sont donc facilement exploitables, gagnent parfois à peine 2,50 € par heure pour la récolte de légumes et de fruits comme les tomates et les agrumes qui sont ensuite vendus dans toute l’Europe. Cette statistique n’est pas la pire cependant : Au cours des six dernières années, M. Sacko figure parmi les plus de 1500 personnes qui ont perdu la vie en travaillant dans le secteur agricole italien. (...)

Du nord au sud de l’Italie, en Sicile, en Campanie, dans les Pouilles et même dans la région prospère du Piémont dans le nord-ouest, les travailleurs sont si nombreux à mourir que le phénomène prend des allures de guerre de faible intensité.

Les victimes sont Maliennes, Italiennes, Roumaines, Indiennes et Nigérianes. Ces décès sont causés par la fatigue, les accidents de voiture, les accidents sur le lieu de travail et par la violence. Ces histoires apparaissent dans les actualités locales, mais sont rapidement oubliées. Du fait que ces hommes et ces femmes sont souvent employés par le caporalato (chefs de gangs) qui gère un système basé sur une rémunération minimale et une exploitation maximale, les victimes de l’exploitation par le travail sont souvent absentes des statistiques officielles.

Certains migrants meurent brûlés vifs dans les incendies qui ravagent parfois leurs baraques, construites avec du plastique, du papier et d’autres morceaux de récupération. (...)

Certains migrants meurent de froid ou à cause de problèmes de santé. (...)

Certains migrants meurent des mains de la police. (...)

Le visage moderne des chefs de gangs italiens
Cependant, ce ne sont pas uniquement les migrants d’Afrique et des pays du Sud qui meurent. Les travailleurs migrants en provenance d’Europe et même d’Italie en sont également victimes. (...)

Incohérence dans les chiffres

Combien de personnes sont mortes dans le travail des champs en Italie ? Environ 1500 personnes au cours des six dernières années selon deux sources : l’Istituto nazionale Assicurazione Infortuni sul Lavoro (INAIL ou Institut national d’assurance pour les accidents du travail) et l’Observatoire indépendant de Bologne, créé en 2008 par le métallurgiste à la retraite Carlo Soricelli, afin de recenser tous les décès liés au travail.

Il est difficile de se faire une idée concrète de l’ampleur du problème sur la base des données officielles (...)

En outre, l’Inspection du travail — l’organisme public italien qui contrôle la régularité des lieux de travail — signale que, dans l’agriculture, 50 % des entreprises inspectées sont en situation irrégulière. (...)

Il convient de noter que tant en termes de données officielles que de données non officielles, le plus grand nombre de décès sur le lieu de travail se produit parmi les travailleurs italiens. Même en examinant le segment « travail non déclaré » pour 2015, l’INAIL révèle que 272 des 336 travailleurs décédés étaient Italiens (81 %), suivis par les Roumains (27 cas) et loin derrière, en troisième place, se trouvaient les neuf ressortissants indiens qui perdirent la vie alors qu’ils travaillaient en Italie cette année-là. (...)

Le secteur agricole italien se caractérise par l’illégalité, l’exploitation extrême et l’absence de protection de la part des institutions de l’État. Le nombre élevé de décès liés au travail dans ce secteur est une conséquence directe de ce contexte. Afin de protéger les travailleurs agricoles en Italie, un certain nombre de mesures correctives s’imposent d’urgence. Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités vis-à-vis de l’exploitation de la main-d’œuvre qui se déroule tout au long de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire. Par ailleurs, les syndicats doivent être habilités à aider et à protéger tous les travailleurs, en particulier les travailleurs migrants. Enfin, il convient d’en faire davantage pour sensibiliser les consommateurs au sujet de l’exploitation de la main-d’œuvre dans le secteur agricole, et ce, dans le but de garantir le développement de produits issus d’un commerce équitable.