
Plus de la moitié des 15-17 ans a déjà vu de la pornographie sur Internet. Des contenus où l’humiliation et la violence sont des ressorts constants, rappelle la chroniqueuse de La Matinale du « Monde ».
C’est officiel : statistiquement parlant, dans notre beau pays, le premier contact sexuel se produit devant un écran. Selon l’IFOP, 51 % des 15-17 ans ont déjà surfé sur des sites pornographiques... Or, le premier rapport sexuel se produit en moyenne à 17 ans.
Je vous épargne les lamentations d’usage pour poser tout de suite la question : qu’est-ce que ce retournement de temporalité signifie ? Parce qu’évidemment, nous autres adultes avons également regardé de la pornographie. Mais après : ce ne sont pas les actes qui changent, seulement leur chronologie. (...)
De fait, la pornographie idéale relève du cinéma, de la fausseté et des effets spéciaux (faux sperme, Viagra, sprays anesthésiants, effets sonores, etc.). Mais si dans un film d’horreur, personne n’est torturé ou découpé en morceaux, même pas « un peu », la pornographie utilise des vrais corps, qui ne sont pas qu’« un peu » soumis à des pratiques qu’il faut questionner. D’ailleurs, questionnons-les. Que voient les enfants ?
Sur ma page Internet ce matin : une femme violée par un zombie, une sodomie douloureuse effectuée sur une jeune fille, une fornication tellement brutale qu’elle « casse le lit ».
Je comprends parfaitement la curiosité des enfants, le besoin de transgression des adolescents, surtout quand aucune alternative n’est disponible. Certains parents partent perdants. « On ne peut rien faire, il faut bien que nos jeunes se confrontent. » C’est du fatalisme facile.
Chaque fois qu’une personnalité publique pose des questions (Ovidie avec son dernier documentaire, Laurence Rossignol avec sa proposition de blocage parental par défaut), tout le monde regarde ses pieds ou s’écroule de rire – alors que si le Royaume-Uni arrive à bannir certains types de pornographie, la France pourrait aussi. Ce n’est pas une question de morale. Londres n’est pas l’Arabie saoudite.
Bien sûr, on peut contourner n’importe quelles barrières. C’est Internet. Mais vos enfants sont-ils informaticiens ? (...)
Exploitation humaine
La transgression, donc. D’accord. J’aimerais juste que ces parents « progressistes » aillent dix minutes sur ces sites pour se confronter eux-mêmes. Parce que moi, dont c’est le métier, j’ai du mal. Cessons de nous cacher derrière nos petits doigts : nous parlons de contenus volés, donc d’exploitation humaine. L’humiliation et la violence sont des ressorts scénaristiques constants. Pour l’empathie, on repassera. Les rapports interchangeables sont effectués par des acteurs sans noms, parfois sans visages, auxquels des enfants sont exposés juste après qu’on leur a vendu le prince charmant. (...)
Nous avons donc une société obsédée par la protection des enfants, mais qui manifestement, côté pornographie, passe son tour. C’est intéressant, comme choix, non ? (...)
En pleine campagne électorale, la société française ne réfléchit pas aux conditions d’accès de ses propres enfants au bonheur, à la liberté, l’égalité et la dignité – article 1 de la Constitution de 1789. Article 1 du seul roman national sur lequel on s’accorde. Ce n’est pas notre réponse à la pornographie qui est problématique – nous ne répondons à rien. C’est le refus du questionnement qui est irresponsable. Surtout pendant cette période spéciale, rare, où nous pourrions cesser de partir perdants. Où nous pourrions rêver d’un mieux.