
En première ligne face à l’explosion du chômage et de la précarité, les éducateurs subissent aussi une dégradation de leurs conditions de travail. Fin 2011, à la suite du suicide d’un de leurs collègues, près de 200 salariés de l’Association d’action éducative et sociale, à Dunkerque, ont exercé leur droit de retrait. Une illustration du quotidien de plus en plus difficile de ces acteurs, ultime rempart face à la misère sociale.
(...) « La révision générale des politiques publiques tue. » C’est par ces mots que Philippe Toulouse, délégué syndical (CGT), qualifie la lente dérive de l’association dunkerquoise d’action sociale et éducative (AAE). Cette structure, financée par des fonds publics, est censée servir de digue face à l’explosion des inégalités sociales. (...)
Sur le terrain, les salariés, via l’intersyndicale CGT-CFDT-SUD, sont unanimes pour dénoncer l’aggravation de leurs conditions de travail. Le 21 novembre, leur marche silencieuse rassemble plus de 550 personnes à Dunkerque. Deux réunions de crise se tiennent à la sous-préfecture. Sans que le dialogue ne s’engage. D’un côté, les salariés reprochent à leur direction son « autisme ». De l’autre, celle-ci les accuse de « mettre la structure en péril ». Le 30 novembre, la famille de Fabrice a porté plainte auprès du procureur de Dunkerque pour mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire, délit d’entrave du Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), et défaut de déclaration d’accident du travail. La fédération Santé-Action sociale de la CGT s’est portée partie civile. L’enquête est en cours. (...)
En 2010, la direction de l’AAE décide une réorganisation majeure. Ce concentré local de RGPP (207) donne la priorité à la réduction du personnel et à la baisse des coûts, sur fond de « management moderne » [2] Résultat : les arrêts maladie se multiplient. En 2010, 170 jours d’arrêts de travail ont été prescrits à sept éducateurs agressés physiquement. (...)
« Des gamins qui regardent la télé à même le sol, pas de ballons ni de jeux de société. Des éducateurs qui doivent gérer 14 gamins agités en même temps et des agressions physiques quasiment hebdomadaires. Voilà le quotidien des éducateurs de l’AAE à Dunkerque. »
(...)
Dénoncer cette direction « qui vit comme des préfets », selon l’expression d’Alexis Constant, journaliste à La Voix du Nord, et réclamer que le suicide de son collègue permette de s’interroger sur les conditions de travail, a valu à Philippe Toulouse quelques déboires. « J’ai reçu une lettre de menace chez moi, il y a quelques jours. Elle comportait l’inscription : “Casse-toi.” » Le syndicaliste CGT est également un opposant politique local au maire Michel Delebarre, bien qu’ils soient tous deux membres du PS. La lettre de corbeau est désormais entre les mains de la police dunkerquoise.
(...)
Le 5 décembre, les salariés d’AAE ont levé leur droit de retrait à la suite de négociations avec la direction et le conseil général. Recrutement d’un nouveau DRH, présence d’un chef d’équipe pour rééquilibrer les horaires de travail, injection d’un million d’euros par le département, promesse de retrait immédiat du système de géolocalisation, examen des « dépenses publiques infondées »… Les salariés ne sont pas dupes : ils savent qu’ils devront rester vigilants et faire bloc pour obtenir des avancées réelles. « À nous de continuer », conclut Gauthier. La France compte 63 000 éducateurs spécialisés.