
Comme chaque année à la même époque, l’agriculture française est à l’honneur. Ce secteur économique est en pleine mutation, soumis comme tous les autres à la concurrence internationale et à l’évolution des techniques ; tel le dieu Janus il présente deux visages qui ont chacun leur salon et leur public.
A la porte de Versailles, le Salon international de l’agriculture ( SIA) est le visage que l’on donne à voir au grand public. Ce salon très médiatisé, que l’on visite en famille, est une vaste opération de communication et de marketing, servie sans complexe et sous forme d’images d’ Epinal.
« La plus grande ferme de France » accueille encore des paysans avec le béret vissé sur la tête, des animaux bichonnés qui se prélassent sur des lits de paille et des hommes politiques avenants, proches des gens, qui serrent des mains en s’extasiant sur la beauté des régions et la qualité de nos spécialités culinaires. C’est une sorte de conte de fée merveilleusement décalé et fantasmagorique pour les citadins petits et grands ; c’est la vie rêvée d’une agriculture paysanne qui respecte les hommes, les animaux et l’environnement.
L’autre face du monde agricole, sans doute moins attrayante, est réservée aux professionnels. Cela se passe à Villepinte, au Mondial des fournisseurs de l’agriculture et de l’élevage ( le SIMA). Là-bas, de l’autre côté de Paris, c’est du sérieux : pas de paille ni de poules égarées dans les allées, pas de bêlements ni de mugissements intempestifs, pas de badauds attirés par l’odeur de l’andouillette grillée ou le parfum suave des bêtises de Cambrai, rien que de l’encravaté à la recherche de solutions pour produire mieux et plus vite. Le SIMA est le domaine de l’agriculture mécanisée, innovante, de l’agriculture équipée et productive qui montre ses gros muscles pour affronter le défi de l’alimentation des 9 milliards d’humains en 2050, pour supporter la compétition avec les agriculteurs sud et nord-américains ( qui s’intensifiera en cas de signature du traité TAFTA), pour pouvoir exporter afin de rapporter des devises et créer des emplois.
Cette agriculture est celle des grandes exploitations céréalières de Beauce ou de Picardie, des porcheries industrielles de Bretagne, de la ferme des mille vaches dans la Somme, le premier maillon d’un agrobusiness qui transforme le chef d’exploitation en agri-manager et le paysan en ouvrier spécialisé qui doit produire au coût le plus faible possible. Comme dans toute industrie, l’environnement n’est plus considéré comme un patrimoine à préserver et à valoriser mais comme une contrainte dont il convient de s’affranchir au moyen de la technique et notamment des biotechnologies. Les organismes génétiquement modifiés et brevetés représentent la fine pointe de cette agriculture industrielle tendue vers le futur et illustrent la soumission du vivant aux impératifs d’un capitalisme financier qui vise à régir bientôt l’ensemble des activités humaines.
Le SIMA est la vitrine d’ un secteur économique qui selon les objectifs de « la loi d’avenir » votée en septembre dernier « doit relever le défi de la compétitivité pour conserver une place de premier plan au niveau international et contribuer au développement productif de la France
Stéphane Le Foll a inauguré les deux salons : c’est le ministre de ces deux agricultures aux visages opposés. Et en bon ministre et porte-parole de François Hollande, il tente de concilier les contraires. L’économie est sociale-libérale, l’agriculture sera écolo-intensive ! Les recettes qui réussissent si bien à notre industrie méritent d’être appliquées à l’agriculture. On prend donc quelques mesures écologiques dans le cadre d’une politique globale axée sur la libéralisation et l’intensification des systèmes de production en communiquant bruyamment sur le verdissement du ministère. On consent ainsi, par exemple, depuis le 1er janvier, des aides supplémentaires pour les petites exploitations (surprimes accordées dans le cadre des aides PAC jusqu’aux 52 premiers ha), ce qui permet au ministre de se présenter en défenseur de notre modèle agricole traditionnel, mais le bilan des « groupes de travail en agriculture », sous l’emprise de la FNSEA, et qui vient d’être entériné au dernier Conseil des ministres, prévoit d’ assouplir les procédures d’installation pour les élevages de volaille (des mesures semblables avaient déjà été prises pour les éleveurs porcins et seuls désormais les élevages de plus de 40.000 volatiles seront soumis à une procédure contraignante d’autorisation).
Les fermes-usines vont se multiplier comme vient de le révéler la Confédération paysanne en publiant la carte de l’industrialisation de l’agriculture ( ici) mais c’est bien évidemment pour produire mieux puisque ces grosses exploitations seront des modèles d’économie circulaire en permettant la valorisation des déjections animales par la méthanisation. De nouvelles générations d’OGM, obtenus par mutagenèse, et pour l’instant non soumises aux règles de contrôle et d’étiquetage de l’UE, commencent à se répandre, mais le ministre entend « promouvoir la recherche tout en permettant aux agriculteurs de perpétuer les pratiques agricoles sur lesquelles notre agriculture s’est bâtie ». . .
La rhétorique est parfaitement rodée, le double discours institutionnalisé. D’ailleurs, la loi d’avenir prévoit que « le projet agro-écologique pour la France a pour objectif de placer la double performance économique et environnementale au cœur de pratiques agricoles innovantes ». Et le législateur aurait pu préciser : « et ce projet a également pour objectif de produire une alimentation à deux niveaux, pour les riches et pour les pauvres » car, comme le rappelle notre ministre, « l’agriculture doit être capable de faire du produit de luxe et du produit standard à plus grande échelle ».
La politique agricole s’inscrit bien dans le cadre de la politique générale du gouvernement et tout est dit : la nature et le paysan sont sacrifiés sur l’autel de la compétitivité et au nom de l’adaptation à un monde de plus en plus inégalitaire.