
Longtemps cantonnée au domaine de la science-fiction, la modification génétique d’embryons humains semble aujourd’hui se rapprocher plus que jamais de l’usage clinique.
Publiée le 13 août dans le journal Molecular Therapy et rapportée pour la première fois par Stat le 20 août, l’étude d’une équipe de recherche chinoise est venue démontrer la grande efficacité et sûreté d’une nouvelle version du ciseau génétique Crispr pour corriger une mutation dans des embryons humains viables.
Les chercheurs et chercheuses ont corrigé avec succès une mutation responsable du syndrome de Marfan, une pathologie génétique rare touchant environ une personne sur 5.000. (...)
Face aux critiques qui dénonçaient des erreurs potentielles induites par son utilisation de Crispr, l’équipe américaine a expliqué dans une réponse publiée début août dans Nature avoir ré-analysé l’ensemble des échantillons de cellules d’embryons sans trouver la moindre preuve de mutations non désirées induites par leur manipulation.
Malgré ces résultats prometteurs et rassurants, les chercheurs et chercheuses chinoises ont justifié leur choix de l’outil d’édition de base par une propension encore moindre de ce dernier à induire des effets hors-cible.(...)
Feux verts éthiques
Face aux progrès rapides de la recherche, nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour s’opposer à la thérapie génique sur embryons humains. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un article de presse à sensation s’effraie des conséquences imaginées de ces technologies. En France, l’association conservatrice et catholique Alliance Vita a lancé en 2016 une campagne subtilement intitulée « Stop Bébé OGM ».
Outre-Atlantique, il ne semble toutefois pas que ces peurs soient très répandues : une récente étude de Pew Research a montré que 72% des personnes interrogées sont favorables à la modification génétique d’embryons en vue de corriger une maladie grave ; 60% sont aussi favorables à son utilisation pour réduire le risque de survenue d’une maladie grave plus tard dans la vie.
Aussi intéressants les sondages soient-ils, ils ne disent toutefois rien du fond du débat : y a-t-il lieu de prohiber la modification génétique d’embryons humains ? C’est à cette question que le Nuffield Council on Bioethics, un célèbre think tank indépendant britannique, a tâché de répondre dans un passionnant rapport de 200 pages publié en juillet dernier –dont la lecture est chaudement recommandée pour les personnes s’intéressant à ce débat. Leur réponse est catégorique : il n’y a aucune raison d’interdire par principe toute forme de modification génétique d’embryons humains. (...)
les scientifiques à l’origine du rapport s’opposent à cette idée que les interventions dans notre génome seraient contraire à la dignité humaine ou aux droits des enfants : « Le type d’essentialisme génétique qui lie la dignité humaine ou les droits humains à la possession d’un type de génome spécifique semble incohérent, puisque le génome humain n’est pas une chose simple et stable, et il n’est pas non plus distinct dans tous ses détails des génomes d’autres organismes ».
Bien-être de l’enfant et justice sociale
Il est extrêmement intéressant et particulièrement notable que les professeures et professeurs à l’origine du rapport refusent l’utilisation de la distinction entre procédure thérapeutique et procédure d’amélioration comme critère pertinent pour décider des usages légitimes de l’intervention dans le génome des enfants à naître.
Il est extrêmement commun dans les cercles académiques d’entendre que si d’un côté la modification génétique thérapeutique est évidemment souhaitable, de l’autre les interventions d’amélioration seraient à rejeter catégoriquement.
Bien que cette distinction soit superficiellement plausible, le rapport note qu’il existe de très nombreux cas de modifications génétiques qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre catégorie. Une intervention visant à fournir à l’enfant une résistance génétique à une maladie ou à un phénomène naturel est-elle une forme d’intervention thérapeutique ou une amélioration ?
Cette question ne relève pas que de la théorie : une étude publiée en 2016 par une équipe de recherche chinoise visait à induire chez des embryons humains une mutation conférant une résistance au VIH.
Plutôt que cette distinction floue et extrêmement contestée, les auteurs et autrices du rapport proposent deux critères essentiels pour qu’une modification génétique d’embryons humains en vue d’une naissance soit acceptable.
Le premier critère proposé est celui du bien-être du futur enfant(...)
Notant que ces technologies risquent de créer des inégalités sociales si elles se trouvent hors d’accès des catégories sociales les plus défavorisées, le second critère proposé est celui de justice sociale(...)
Suite à la formulation de ces principes, le Nuffield Council on Bioethics en appelle à un large débat de société sur la manière dont la modification génétique d’embryons devra être encadrée, une fois que les techniques auront été rendues sûres et efficaces pour un usage clinique.
Ce débat ne peut avoir lieu qu’une fois que l’on reconnaît qu’il n’existe pas de justification rationnelle à s’opposer systématiquement à toute forme d’intervention dans le génome des enfants à naître. Suite à la formulation de ces principes, le Nuffield Council on Bioethics en appelle à un large débat de société sur la manière dont la modification génétique d’embryons devra être encadrée, une fois que les techniques auront été rendues sûres et efficaces pour un usage clinique.
Ce débat ne peut avoir lieu qu’une fois que l’on reconnaît qu’il n’existe pas de justification rationnelle à s’opposer systématiquement à toute forme d’intervention dans le génome des enfants à naître. (...)
Alors que la recherche avance à grands pas aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Chine, il est urgent de réfléchir de manière dépassionnée aux immenses bénéfices pour l’humanité qu’apporteront ces technologies de modification génétique d’embryons, et aux manières de réduire leurs potentiels travers.
On peut légitimement douter que des slogans comme « Stop Bébé OGM » apportent quoi que ce soit à ce débat qui s’annonce passionnant et chaque jour plus important, à mesure que la modification génétique d’embryons humains se rapproche de la clinique.