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Les aides à domicile « en révolte » face au manque de reconnaissance de leur indispensable métier
Article mis en ligne le 26 octobre 2021

Les salaires sont dérisoires et les démissions se multiplient. La crise sanitaire a souligné l’importance des aides à domicile, mais elles n’ont pas reçu la reconnaissance attendue de la part des pouvoirs publics. Reportage à Saint-Étienne.

Zoé Dupont [1], 53 ans, a écrit toutes ses revendications sur la première page d’un carnet neuf à la couverture mauve. Elle travaille comme auxiliaire de vie depuis 2018, pour une entreprise qui fait l’intermédiaire entre particuliers et aides à domicile. Sur le carnet de Zoé, on peut lire :

  • « Pas de visite médicale du travail
  • Ils ne veulent pas qu’on se connaisse entre nous
  • Pas de tenue pro (même pendant la COVID)
  • Pas le temps de manger
  • Ne payent pas les absences de bénéficiaires
  • Pas de salaire fixe »

Elles sont une quarantaine ce jeudi 23 septembre à s’être rassemblées place Jean-Jaurès à Saint-Étienne à l’appel de la CGT. Aides à domicile, auxiliaires de vie... Au-delà des statuts et des employeurs différents, toutes ont en commun de se rendre au domicile de personnes âgées, handicapées ou qui ne peuvent plus se débrouiller seules pour les actes de la vie courante. Il y a aussi des aides-soignantes à domicile, qui ont pour certaines revêtu leur tenue de travail. En France, elles sont plus de 700 000 à travailler dans le secteur du soin, de l’accompagnement ou du maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées. Dans ce secteur à 97 % féminin, le salaire moyen est à peine supérieur à 900 euros. Les temps partiels et les horaires irréguliers sont la règle. Selon le rapport sur les métiers du lien des députés Bruno Bonnell (LREM) et François Ruffin (LFI) : « Le taux de pauvreté est élevé chez les aides à domicile : on compte ainsi 17,5 % de ménages pauvres parmi les intervenants à domicile contre 6,5 % en moyenne pour l’ensemble des salariés. » (...)

Au maximum, est mis en place un système de « cahier de liaison chez les personnes qui n’ont pas toute leur tête » lorsque plusieurs professionnelles interviennent chez le même bénéficiaire. Zoé déplore aussi l’absence de formations et d’écoute en cas de situations difficiles.
Les aides à domicile n’ont pas eu droit à la prime Covid de 183 euros

Si Zoé a choisi de travailler chez ce mandataire c’est parce qu’« on va toujours chez les mêmes personnes » et que cela permet d’instaurer une relation de confiance. Elle « adore le métier, le contact ». Comme elle, toutes les manifestantes disent aimer leur métier. Les différents confinements leur ont fait prendre conscience de l’importance de leur rôle mais aussi du peu de considération des pouvoirs publics à leur égard. La crise sanitaire a ravivé leur colère. Au début de l’épidémie, elles ne pouvaient pas se procurer de masques parce qu’elles n’étaient pas considérées comme personnel soignant. Mais aujourd’hui elles sont concernées par l’obligation vaccinale... au titre de personnel soignant. (...)

Certains jours, elle commence sa journée à 8 heures, l’achève à 19 heures et mange en conduisant

Les manifestantes citent toutes des exemples de collègues qui viennent de démissionner. Le gouvernement estime que 20 % des postes d’aides à domicile sont actuellement vacants. En temps normal, le secteur se caractérise déjà par un turn-over important, dû à 89 % aux mauvaises conditions de travail [3]. « Il y a chez les aides à domicile, un turn-over énorme dû à des conditions de travail particulièrement pénibles, explique la sociologue Christelle Avril, autrice de Les aides à domicile.Un autre monde populaire (Éd. La Dispute). Quand elles commencent à vieillir, elles sont tellement usées qu’elles n’arrivent plus à suivre. Le statut d’emploi devient alors plus important que le contenu du travail. Elles sont alors nombreuses à chercher à se faire employer en Ehpad ou comme femme de ménage pour une collectivité. C’est plus intéressant financièrement, même si ça l’est moins en termes de gratification. » (...)

Les aides à domicile passent de une à trois heures chez chaque bénéficiaire. Elles doivent arriver à l’heure convenue et ne partir qu’une fois la durée d’intervention programmée écoulée. Les trajets et les temps morts ponctuent leurs journées de travail, sans pour autant être comptés comme temps de travail. Sylvie, Karima et Sophie sont indemnisées 37 centimes du kilomètre quand elles se rendent du domicile d’un bénéficiaire dépendant au domicile d’une autre. Mais si un trajet a pour point de départ ou d’arrivée leur propre domicile, il n’est pas indemnisé. Idem si elles ont une coupure dans la journée. Comme toutes les aides à domicile, elles peuvent passer la journée à travailler tout en étant rémunérées seulement quelques heures. (...)

« Ce travail amène à des maladies professionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles »

Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) intitulée « Les conditions de travail des aides à domicile en 2008 » permet de chiffrer précisément le décalage entre l’amplitude horaire consacrée au travail et la somme des temps d’interventions. En moyenne, une aide à domicile réalise un peu plus de 5 heures d’intervention en une journée. Mais cette durée passée auprès des bénéficiaires s’étale sur 7 h 13.

« Faire quatre personnes par jour et travailler 120 heures par mois, je l’ai fait... ça me convenait mais j’avais dix ans de moins ! » commente Sophie. Après un AVC et un arrêt de travail de deux ans, elle a accepté de reprendre, mais à deux conditions : ne pas commencer avant 9 heures et ne plus devoir prendre sa voiture, seulement les transports en commun. « Physiquement, je ne peux pas », résume-t-elle. (...)

« Il est souvent difficile pour les aides à domicile de faire reconnaître l’usure du travail réel qu’elles effectuent. Se mettre à genoux 5 à 8 fois par jour pour nettoyer les toilettes, aller acheter des packs d’eau pour les personnes qui ne peuvent plus sortir de chez elles, respirer la poussière... Ce travail amène à des maladies professionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles. »
Un mois normal : 488 kilomètres à scooter, 60 heures de travail et un planning modifié 12 fois... (...)

Parce qu’elles travaillent dans des lieux différents sans croiser leurs collègues, avec des horaires irréguliers, il n’est pas si facile pour les aides à domiciles de se mobiliser. « Pour tout un tas de raisons, analyse Christelle Avril, elles peinent à se mobiliser collectivement, elles travaillent isolées les unes des autres, sont précaires du fait du temps partiel. Au milieu des années 1980, il y a eu des mobilisations conjointes d’aides à domicile et de retraité·e·s. Les retraité·e·s ont un pouvoir économique et social qui pourrait redonner du poids aux revendications des aides à domicile et les aider à se faire entendre. » (...)

Aujourd’hui, 54 % des aides à domicile sont salariées du secteur privé, 14 % sont employées du secteur public et presqu’un tiers des aides à domicile travaillent chez des particuliers employeurs. Malgré des conditions de travail et des revendications communes, elles dépendent donc de conventions collectives différents et peuvent être amenées à négocier avec des interlocuteurs différents. (...)

Elles n’ont pas envie de se mobiliser contre les personnes âgées, ni contre la famille des personnes âgées, ni le cas échéant contre les bénévoles des associations. L’État ne se préoccupe quant à lui que de distribuer les financements alors qu’il devrait jouer son rôle de régulateur des conditions d’emploi et de travail. Il n’a par exemple jamais ratifié la convention 189 de l’Organisation internationale du travail qui vise à assurer un travail décent aux personnes salariées des ménages. » (...)