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Recherches Internationales
Les ENJEUX DU TRAITÉ TRANSATLANTIQUE
Michel Rogalski
Article mis en ligne le 13 juin 2014

Dans la tradition d’un Jacques Delors qui expliquait
que « l’Europe devait avancer masquée » un nouveau
saut vers l’inconnu se prépare, hors de tout débat
et à l’insu des opinions publiques. La Commission européenne
s’est ainsi vu confier en 2013 un « mandat de négociation » afin
de créer un « Partenariat transatlantique pour le commerce et
l’investissement » entre l’Union européenne et les États-Unis. Les
dirigeants européens justifient la « diffusion restreinte » mise sur
le contenu du mandat de négociation afin, affirment-ils, de rendre
le travail des négociateurs plus efficace.

À l’heure où les téléphones portables des dirigeants européens
sont écoutés par la NSA et où sont révélées les intrusions massives
des services américains dans l’observation des communications
mondiales, on reste confondu par de tels arguments. D’autant
que les protestations européennes ont bien été timides, au regard
notamment de celle du Brésil. Quant à la docilité française, elle
s’est manifestée lors de l’interdiction par la France du survol de son
territoire par l’avion présidentiel bolivien suspecté de transporter
le lanceur d’alerte Edward Snowden.

L’incident n’a pas ralenti le zèle des dirigeants européens à poursuivre les discussions.
L’ouverture de ces négociations s’est donc placée d’emblée
sous le signe de la complicité et de la connivence. Le traité devrait
être adopté en 2015 par les États membres ainsi que par le nouveau
Parlement européen qui sera élu en mai 2014. C’est pourquoi il a
fait irruption – même tardivement – dans la campagne électorale.
Puis, il devra être ratifié par chaque État membre.

Faisant peu de cas de leurs partenaires, les dirigeants nord-américains désignent déjà ce traité d’« OTAN économique ». Des deux côtés de l’Atlantique les multinationales, qui seront concernées par l’accord, se réjouissent déjà des perspectives ouvertes par ce
grand marché et ont lancé à l’assaut des institutions bruxelloises
la force de leurs lobbiespuissamment représentés pour peser sur
le contenu du pacte.

Il convient de rappeler que les États-Unis ont pour habitude
de régir leurs relations commerciales, notamment avec le Tiers
monde, à l’aide de traités bilatéraux de libre-commerce dont
la caractéristique est de livrer ces pays aux agissements des
firmes multinationales américaines
. Cela traduit l’évolution d’un
rapport de forces. Au lendemain des indépendances, dans les
années soixante, ces pays étaient en mesure d’élaborer des codes
d’investissements, véritables cahiers des charges imposant à ces
firmes des conditions pour venir investir : impôts payés dans le
pays, transferts de technologie, application du droit national,
quotas et formation de cadres locaux… Aujourd’hui la situation
s’est inversée au point que ces pays ont sombré dans l’attractivité
pour capter les investissements, ce qui consiste à abandonner tout
droit souverain et à organiser de fait entre eux une concurrence
vers le bas.

Les défenseurs de ce projet qui concernerait une population
totale de 800 millions de consommateurs, près de 50 % du PIB
mondial et un tiers des échanges commerciaux, vantent un accord
bénéfique pour les deux zones en termes d’emplois et de croissance,
ce qu’aucune étude sérieuse n’a pu démontrer.

Ce qui est certain par contre c’est que le libre-commerce généralisé qui est au cœur de ce traité est loin de faire consensus comme panacée économique.

Nombreux sont ceux qui considèrent qu’aucun développement n’est
possible sans une certaine dose de protection, notamment pour
protéger des industries naissantes.
Car il ne faut jamais oublier
que derrière des produits et des marchandises qui circulent ce
qui s’échange ce sont les conditions de leur production, c’est-à-dire leur environnement social, fiscal, environnemental… Le
libre-échange ne bénéficie pas automatiquement à la meilleure
technique, au meilleur procédé de fabrication susceptible de
s’imposer face à la concurrence et d’éliminer le moins performant
dès lors que les conditions de leur production contribuent à créer
une fausse concurrence.

Les conditions dans lesquelles les négociations s’ouvrent
sont tellement opaques que l’on s’interroge sur ses objectifs
. On
ne peut pas ne pas remarquer que dans le même temps Obama
ouvre des discussions avec l’Asie – hors Chine – autour d’un projet
de libre-commerce États-Unis-Pacifique. Vraisemblablement ce
qui est recherché ne peut l’être à travers l’OMC que l’on dit en
pleine crise. De surcroît cette institution, qui ne fonctionne pas
comme le FMI ou la Banque mondiale selon le poids de chaque
pays mais sur la base de « chacun compte pour un », a souvent
traduit avec succès les États-Unis devant l’organisme de règlement
des différends
. Bref, les États-Unis n’y font plus la loi, d’autant
que Pascal Lamy a laissé la place à un Brésilien, et cherchent
à s’en émanciper. Pouvoir réorganiser les règles du commerce
mondial à travers deux grands traités de libre-commerce,
l’atlantique et le pacifique, créerait une nouvelle norme mondiale
sur laquelle les émergents comme les BRICS devraient s’aligner.

Sur le plan commercial, l’Allemagne pourrait trouver un avantage
lui permettant de s’émanciper de la dépendance du gaz russe
en se procurant des énergies gazières et pétrolières issues de
l’exploitation des gaz de schistes américains.

Devant les levées de bouclier qui montent, on peut douter que
l’accord sera bouclé en 2015 comme envisagé.
Certains évoquent
déjà de longues négociations qui rappelleraient les interminables
cycles du GATT ou des accords de Doha. Le risque étant que les
opinions publiques s’en désintéressent.

Si l’on écarte la question du niveau des droits de douanes très faibles entre l’Europe et les États-Unis – de l’ordre de 2 à 4 % en moyenne, un peu plus avec 10 % pour l’agro-alimentaire – et de toute façon bien inférieurs à la variation du taux de change dollar/euro, les désaccords les plus évoqués portent sur les obstacles non-tarifaires au commerce,
principalement les normes, et sur les règles qui régiraient les
futurs rapports entre grandes firmes multinationales et États.

Par obstacles non-tarifaires on entend l’ensemble des
systèmes de normes adopté par les pays en fonction de la vision
qui est la leur de la santé, de l’environnement, de l’alimentation.
Ainsi, si ces normes sautaient, il deviendrait impossible de refuser
les animaux traités aux hormones, la décontamination chimique
des viandes, les semences génétiquement modifiées et il faudrait
renoncer aux appellations d’origine. Le principe de précaution
pourrait également se voir contourné. Au-delà, l’ouverture des
services publics à la concurrence des firmes transnationales
menacerait des secteurs clés tels que la santé et l’éducation et
pourrait y introduire de nouvelles vagues de privatisations.

Mais le fait le plus novateur de ce traité réside dans une
nouvelle façon de voir les relations entre les firmes et les États.

Jusqu’à présent, en cas de litige les firmes devaient s’adresser
à des tribunaux du ressort de l’État avec lequel elles avaient un
différend. Le traité permettrait à des investisseurs étrangers de
poursuivre un État devant un tribunal arbitral pour des décisions
prises par un gouvernement et qui auraient pu les léser.
Les
firmes ont toujours préféré la procédure arbitrale au procès public
car elle leur assure trois avantages : la discrétion, la rapidité et
la certitude de l’exécution en l’absence d’appel. Cette novation
permettrait aux multinationales de contourner les tribunaux
classiques respectueux de la souveraineté des États et de leurs
droits nationaux.
Le traité transatlantique ne se résout pas
seulement en une négociation entre deux partenaires commerciaux
concurrents qui auraient chacun à faire valoir leurs intérêts mais
permet aux sociétés transnationales des deux parties de forcer
l’ouverture et la déréglementation des marchés des deux côtés
de l’Atlantique. Il aurait inexorablement pour effet de renverser
les rapports entre firmes et États en permettant à celles-ci de
s’exonérer des prétentions souveraines de ces derniers.

En France, où le sujet a émergé dans le cadre de la campagne
des élections européennes, les lignes de fractures rappellent
celles qui s’étaient révélées lors du referendum constitutionnel de
2005. C’est ce qui inquiète l’Élysée et le gouvernement qui se sont
engagés avec énergie en faveur de ce traité.
Ainsi, non seulement
Front de gauche, écologistes et Front national s’y opposent mais
des voix dissonantes s’expriment déjà au sein de l’UMP et du PS.
Gageons que plus les termes de ce projet se dévoileront, plus
les critiques monteront.

Un refus de ce traité constituerait un levier de poids pour faire reculer le néolibéralisme et le poids des multinationales et de leurs lobbies