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Le toucher, pilier du développement du cerveau
Nadège Roche-Labarbe, Maître de conférences en Psychologie à l’Université de Caen Normandie, dirige ces travaux pionniers sur les compétences sensorielles des nouveau-nés et leurs possibles liens avec les troubles du neurodéveloppement au sein du laboratoire COMETE. Entretien.
Article mis en ligne le 18 juillet 2022

Le toucher est la forme la plus primitive de lien au monde extérieur. C’est le premier sens à apparaître chez le fœtus, le premier à susciter des réflexes et à alimenter le cerveau en informations. Au point que certains chercheurs pensent qu’il modèle nos mécanismes mentaux, et conditionne la façon dont nous appréhenderons notre environnement en grandissant.

Dans l’unité de recherche mixte COMETE, rattachée à l’Université de Caen Normandie et à l’INSERM, des chercheurs étudient la précocité du traitement des informations tactiles par les nouveau-nés, et explorent les liens possibles entre capacités de traitement de ces stimuli et qualité du développement cognitif des enfants. Leur hypothèse : un développement anormal du toucher pourrait contribuer aux pathologies neurodéveloppementales, tels les troubles de l’attention et ceux du spectre de l’autisme. Si le lien est établi, l’évaluation des perceptions tactiles des bébés pourrait devenir un instrument de dépistage très précoce de ces troubles, et constituer le point de départ de thérapies tactiles d’un nouveau genre pour les prévenir ou mieux les soigner.

Le toucher est le premier sens qui va apparaître dans la vie fœtale. On peut déjà observer des réponses automatiques au toucher vers 7 à 8 semaines de gestation. Ce ne sont pas encore des perceptions au niveau du cerveau, mais des réflexes. Puis les capteurs du toucher qui étaient présents seulement dans certaines parties du corps, notamment sur le visage, apparaissent progressivement sur tout son corps avant la moitié de la grossesse environ. C’est aussi le moment où les neurones du cortex cérébral vont recevoir les informations, les traiter et les apprendre. Le toucher constitue avec l’olfaction et le goût le sens le plus primitif. Ce n’est que dans la deuxième partie de la grossesse que se développent l’audition et la vue.

Quelles sont les implications en termes de neurodéveloppement ?

Au début de la vie fœtale le cerveau commence à se développer sur la base d’informations proprioceptives (liées à la perception de la position des différentes parties du corps, ndlr) et tactiles, avant d’enrichir sa compréhension du monde avec l’audition et la vision. Le toucher permet au cerveau de faire des inférences sur la manière dont l’environnement proche fonctionne, de le comprendre et de l’organiser, en établissant des liens de cause à effet par exemple. Ce sont des capacités très précoces qui seront ensuite étendues aux autres sens puis utilisées dans tous les aspects de notre vie.

Dans nos recherches, nous partons du postulat que le toucher serait la première base des apprentissages et que les mécanismes de traitement des informations mis en place via cette entrée tactile vont conditionner la façon dont le fœtus puis le nouveau-né vont ensuite comprendre les stimuli produits par les autres types de sensorialité.

Comment étudie-t-on la façon dont les bébés traitent l’information tactile ? (...)

Quels sont les premiers résultats de vos recherches ?

Une étude en cours de publication démontre que les nouveau-nés âgés de 33 semaines de gestation (4 semaines avant l’âge équivalent au terme d’une grossesse normale) sont déjà capables de former des prédictions temporelles : après plusieurs répétitions de la vibration, ils s’attendent à celle-ci. Nous leur avons présenté deux types de séquences de stimuli : soit les vibrations survenaient à intervalle identique, soit à un rythme irrégulier. Dans le premier cas, leur cerveau cesse de réagir à la stimulation parce qu’elle est très prévisible, et ni douloureuse ni plaisante : le cerveau va l’ignorer et garder ses ressources pour autre chose.

Dans le second cas, l’activité du cerveau augmente dans l’intervalle de temps où l’événement tactile est susceptible de se produire, l’attention restant portée sur cette stimulation probable mais pas complètement prévisible. Ces travaux montrent que les nouveau-nés prématurés ne subissent pas passivement leur environnement mais vont apprendre de leurs expériences et réguler leur activité cérébrale en fonction. (...)