
Machines, engrais, semences... L’intensification agricole s’est accompagnée d’un endettement et d’une dépendance croissants du monde paysan. Pour les membres de l’Atelier Paysan, cette spirale n’est pas une fatalité : la coopérative, qui compte aujourd’hui 14 salariés, organise des dizaines de formations à l’auto-construction, à l’amélioration d’outils ou de machines, et à la réparation d’équipements. De quoi réduire les emprunts auprès des banques, concevoir des outils économes et adaptés et, in fine, remettre un peu d’autonomie au cœur des pratiques agricoles. Reportage.
(...) Tirer les conséquences de l’épuisement des sols
Au programme pour Alban et Arnaud : trois jours de stage. Pour découper, souder, assembler, en tout « neuf machines à construire », résume Grégoire Wattinne, formateur depuis presque dix ans et diplômé d’une école d’ingénieur. Les matières premières sont achetées par les participants, le stage financé par Vivea, le fond de formation continue des agriculteurs. Pour Baptiste, le calcul est vite fait : « Ces machines, on les achèterait quatre ou cinq fois plus cher si on ne les faisait pas nous-mêmes. » Le cultivateur se reprend : « Enfin, ce qui se fabrique ici, on ne trouve pas d’équivalent dans le commerce. Donc c’est difficile de comparer. » Exemple : le rouleau-bêche. Ses lames servent à enfouir des engrais verts qui vont décompacter le sol en prenant racine. (...)
C’est à la fin des années 2000 qu’émerge ce réseau de partage de savoir-faire. Autour d’un constat commun formulé par plusieurs maraîchers, celui de la fatigue des sols. Le travail de labour appauvrissant les qualités agronomiques des terres trop intensément cultivées. Argile, limon, sable... La nécessité de concevoir des outils plus adaptés aux composantes de la terre et à la vie du sol rassemble. L’Atelier Paysan est né.
Un catalogue de 52 innovations paysannes
Aujourd’hui, la coopérative revendique 52 « trouvailles paysannes », une bibliothèque qui n’avait jamais existé auparavant. (...)
Le principe, pour Alban, tient en quelques mots : « Reproductible avec peu de moyens ». Lors des formations, tout le matériel est amené en camion et remorque. Ce qui permet à la coopérative d’être présente partout en France. « Acier, visserie, postes à souder... Nous pouvons aménager n’importe quel hangar vide pour faire un stage », annonce Grégoire Wattinne, qui était récemment dans le Gers puis dans les Pyrénées, avant de revenir en Isère où se trouvent les bureaux de l’Atelier Paysan.
« On ne réinvente pas le fil à couper le beurre, chacun dans son coin » (...)
Si leur entreprise était une start-up, Joseph Templier et Fabrice Clerc seraient peut-être déjà millionnaires. Mais leur structure est une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), dans laquelle la gouvernance est partagée entre salariés et paysans. Personne ne dépose de brevet. Plus les paysans s’approprient les outils, plus le collectif en tire de la force (...)
Au-delà de l’ingéniosité collective, il y a la volonté de changer de modèle agricole. « Dans les soixante dernières années, l’agriculteur a acheté de plus en plus de machines, qui lui permettent de gagner du temps. Mais ça l’empêche aussi de bien comprendre ce qu’il fait », avance Josselin, jeune Grenoblois en contrat salarié chez un maraîcher au nord de la métropole. (...)
S’éloigner des logiques agricoles dominantes
Gagner en « souveraineté technologique » - horizon à atteindre selon l’Atelier Paysan -, c’est aussi réduire sa dépendance vis-à-vis des banques. Entre 1980 et 2011, l’endettement moyen des (...)