
La tournée féministe qui a eu lieu récemment dans une dizaine de villes en France a permis aux femmes du Portugal, d’Espagne, de Grèce, d’Angleterre, de Hongrie et de France de dessiner une première fresque du gâchis humain, causé par les politiques des créanciers qui empêchent l’application des droits humains, sèment des crises humanitaires et le chaos en Europe. Le témoignage de ces femmes sonne l’alarme et nous prévient de ce que pourrait être bientôt le sort de nous toutes. Voici le texte de la participation de Sonia Mitralia.
La vie des femmes dans cette Grèce gouvernée par la Troïka.
Tout d’abord, le droit au travail a explosé. L’arme de la dette a inversé la tendance historique à l’amélioration continue de la position des femmes sur le marché du travail depuis les années 1980. Désormais c’est la régression, non pas passagère, mais historique : Avant la crise, le chômage des femmes s’élevait à 12%, désormais il s’élève officiellement à 29-30%. Et pour les jeunes femmes de 15-24 ans, il atteint 61% … une vraie catastrophe pour elles, qui réalisent qu’elles n’ont plus d’avenir ! Désormais il y a déjà énormément plus de personnes inactives (surtout des femmes) que d’actives. Et un tiers de celles qui travaillent ne sont pas payées. Dans les supermarchés souvent les vendeuses sont payées en espèce.
Quant au droit à la libre maternité ou au libre choix de décider si on veut avoir des enfants, il est lettre morte : Quelle ironie de l’histoire ! Il y a quarante ans on se battait contre la maternité forcée, aujourd’hui on nous refuse le droit d’avoir un enfant…
La pauvreté, la misère, l’insécurité ont déjà provoqué 15% moins de naissances. 3.000.000 des Grecs sans couverture maladie doivent payer désormais l’accès aux soins, qui sont commercialisés et privatisés.
Un exemple : L’accouchement n’est plus gratuit depuis longtemps, mais maintenant il coûte cher, très cher : 800 euros et 1600 pour la césarienne. (...)
Mais, il y a pire que ça. Tout l’État Providence grec est bel et bien détruit. Le résultat est que tous les services publics assumés auparavant par l’État, des jardins d’enfants aux hospices des gens âgés et même les soins médicaux sont maintenant pris en charge par… les femmes en famille ! Et tout ça gratis, sans même qu’on reconnaisse ce travail impayé. Travail, d’une valeur vraiment astronomique, dans ce qu’on pourrait à juste titre appeler …le plus grand hold-up du siècle ! (...)
Ce mariage du capitalisme et du patriarcat se traduit à quelque chose de concret : Que nous avons juste un choix, servir ! Servir, prendre soin, nourrir, nettoyer nos gosses, les personnes âgés, nos fils, frères et maris au chômage, tous ceux qui ne peuvent plus avoir leur propre appartement et sont obligés de se regrouper dans la même maison.
Mais, s’agit-il simplement d’un retour au foyer ? A un retour aux années cinquante, avant les acquis féministes, à un modèle de famille basée sur le couple où l’homme travaillait à l’usine et la femme à la maison ? Il n’est pas à exclure que le crash social, qu’une société de chômeurs sans état social, sans société civile, engendrent une famille qui tend à régresser vers une forme plus archaïque de vie communautaire, vers une espèce de tribu où les droits individuels n’existeraient plus du tout pour nous. (...)
C’est comme s’ils nous disaient cyniquement, vous pouvez mourir, nous on s’en fout car la seule chose qui nous intéresse c’est servir les intérêts des créanciers et rien d’autre. (...)
ces politiques n’ont pas pour seul résultat l’appauvrissement monstrueux des Grecs. En réalité, ces politiques sont aussi en train de tuer l’avenir de la démocratie en Grèce et en Europe. Elles font naître un monde de violence aveugle, un monde sans règles, une jungle où le pire est possible. Ce monde prépare le terrain pour l’extrême droite et les fascistes, pour leurs crimes contre les libertés, les minorités nationales et sexuelles, leur haine contre les femmes et les droits féministes. (...)
Est-ce que la Grèce deviendra aussi le laboratoire des violences totalitaires ? Non seulement nous sommes en train de vivre une sorte d’accoutumance à la vie violente, à l’indifférence pour la vie humaine, mais c’est aussi la politique qui devient de plus en plus violente tandis qu’on met en cause des conquêtes comme l’interdiction de la torture d’État qui se banalise. (...)
Que faire avant qu’il ne soit pas trop tard ? Comment résister au fléau néolibéral et à la monte fasciste et totalitaire ? Comment affronter le chantage de la dette et ces mesures d’austérité cauchemardesques, comment nous défendre contre la violence ?
D’abord, nous avons un besoin urgent de ne pas rester seules. Nous avons besoin d’aide, de solidarité active des mouvements sociaux et les féministes en Europe. Il faut que chacune de nous dans nos pays respectifs, se batte contre les mêmes politiques liberticides d’austérité inspirées et appliquées par les mêmes ennemis.
En somme, il faut résister toutes ensemble, par delà les frontières nationales.
Oui, il faut le dire haut et clair : nous devons bâtir un mouvement féministe européen de masse contre l’austérité mais aussi contre la dette illégitime qui est à la racine de nos malheurs.