
Le procès France Télécom voit sept anciens dirigeants répondre devant la justice de leur responsabilité sur une vague de suicides dans l’entreprise. Une bande dessinée : « Le travail m’a tué » démonte le mécanisme qui amène certains salariés à craquer et s’ôter la vie.
Le travail m’a tué part d’une histoire vraie pour retracer le parcours d’une victime du monde du travail dans l’industrie automobile. Carlos Perez est passionné d’automobile. Issu d’une classe modeste, pur produit de l’école et du mérite républicain, son rêve se réalise lorsqu’il est embauché comme ingénieur en 1988 par un constructeur de voiture de premier plan. Il est heureux, se marie, a des enfants et investit dans un pavillon en banlieue. Tout bascule d’abord avec un déménagement de l’usine dans laquelle il travaille à l’autre bout de la région parisienne. Sa qualité de vie s’en trouve chamboulée : temps de transport, embouteillages, nouvelle vie en open space : la fatigue commence à s’installer et ne plus le quitter. (...)
Les années passant, c’est le management de l’entreprise qui change : une nouvelle génération de cadres dirigeants (plus jeunes) s’installe et décide d’utiliser la pression comme outil de gestion du personnel. Les objectifs sont sans cesse relevés (pour être inatteignables), les réunions se multiplient, et il est souvent demandé à Carlos de partir en mission à l’étranger pour des temps de plus en plus longs, ce qui l’oblige à laisser sa famille derrière lui. Parfois, ces départs sont exigés deux jours avant de l’envoyer sur un autre continent. Les augmentations de salaires et les primes sont toujours refusées, les vagues de licenciements se multiplient, laissant à ceux qui restent l’angoisse lancinante de rester sur le carreau demain. (...)
Ce que rappelle avec force cette bande dessinée qui prend le temps d’installer l’évolution psychologique de son personnage, c’est que si le suicide semble être la plus intime des décisions, il peut être provoqué par un enchaînement de contraintes et de décisions subies par la victime qui n’y aurait pas recouru en d’autres circonstances. L’album démontre aussi que ces techniques visant à déstabiliser les salariés sont non seulement conscientes, mais qu’elles sont parfois organisées au plus haut niveau hiérarchique de certaines sociétés. La justice reconnaît aujourd’hui que le suicide peut être un accident professionnel, et elle sait condamner des managers responsables de fautes en la matière. (...)
Après dix suicides et six tentatives de suicide chez Renault entre 2013 et 2017 l’entreprise a été condamnée pour “faute inexcusable” après la mort d’un salarié. Espérons que cette bande dessinée salutaire contribuera à sensibiliser chacun, notamment chez les cadres dirigeants, pour permettre de désamorcer ces mécaniques implacables qui détruisent des individus, trop souvent sciemment.