Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
« Deux mois qu’on pleure, qu’on ne mange plus » : une marche blanche pour Matis Dugast, mort au travail à 19 ans
#accidentsduTravail #mortsautravail
Article mis en ligne le 18 septembre 2025
dernière modification le 15 septembre 2025

Le jeune ouvrier est décédé en juillet dans un dramatique accident du travail. En mai et juin, trois jeunes mineurs avaient été tués dans d’autres accidents. Les moins de 25 ans sont particulièrement vulnérables au travail, en raison de la précarité des postes qu’ils occupent souvent.

(...) Matis avait 19 ans. Il est mort au travail.

Le 15 juillet dernier, au matin, à Saint-Flaive-des-Loups, il travaillait sur un chantier de réfection de voirie lorsqu’il a été enseveli sous du goudron chauffé à 200 degrés. Héliporté en urgence au CHU de Nantes, il est décédé quelques heures plus tard. « Matis est un guerrier, personne n’aurait pu endurer ce qu’il a enduré avant de partir », témoigne sa sœur, la voix nouée par l’émotion.

Ce samedi 13 septembre 2025, plus de 120 personnes se sont rassemblées devant la mairie avant de se diriger, en silence, vers les lieux du drame. (...)

Tou·tes les proches de Matis portaient, ce jour-là, un tee-shirt blanc imprimé avec deux photos du jeune homme et son prénom. « On a choisi celle avec le chapeau, car il est très beau dessus, et celle où il est torse nu, car c’est la dernière qu’il a prise avec mon téléphone », explique Clarisse, une des trois sœurs de Matis.

Au milieu des visages de Matis, un autre visage apparaît : celui de Benjamin Gadreau, mort lui aussi au travail en février 2022, à Tours, à 23 ans, à la suite d’une chute de hauteur. Sa mère, Claudine Duchêne, porte un pull avec son visage. À ses côtés, Caroline Dilly, cofondatrice du collectif Familles : stop à la mort au travail et veuve de Pierrick, 51 ans, décédé au travail. Les deux femmes ont fait le déplacement pour soutenir la famille de Matis. « On sait très bien ce qu’ils traversent. C’est l’une des épreuves les plus dures, et surtout des plus solitaires », (...)

Une hécatombe silencieuse

Matis Dugast n’est malheureusement pas le seul à avoir disparu au travail. Il fait partie de la vingtaine de jeunes travailleurs et travailleuses de moins de 25 ans mort·es au travail en 2025, selon le décompte que Mediapart a réalisé dans la presse locale et nationale.

Les victimes sont parfois très jeunes. En mai et juin, trois mineurs étaient morts sur le lieu de leur stage en entreprise (...)

Une énumération affolante. « Je n’ai jamais vu autant de cas se multiplier en si peu de temps chez les jeunes », alerte Matthieu Lépine, professeur d’histoire, auteur de l’ouvrage L’Hécatombe invisible (Le Seuil), qui recense depuis des années sur les réseaux sociaux chaque mort au travail et interpelle systématiquement le ministère du travail. (...)

Selon lui, cette « explosion » s’est produite dans un grand silence médiatique, jusqu’à la mort de Matis, qui a brièvement brisé l’indifférence (Le Monde a néanmoins publié un article très complet sur le sujet début juillet). « Je n’avais jamais vu un tel emballement médiatique pour un mort au travail », observe-t-il.

Si cette couverture médiatique soudaine paraît salutaire à Matthieu Lépine, elle reste selon lui superficielle : « Après la mort de Matis, je n’ai vu aucune réflexion de fond sur les accidents du travail. » Il déplore l’absence de remise en question des conditions de travail, estimant qu’« une forme de fatalité s’installe autour de la mort au travail, sans jamais en interroger les causes. »

Véronique Daubas-Letourneux, sociologue et professeur à l’École des hautes études en santé publique, autrice d’un excellent ouvrage sur le sujet, rappelle que l’hécatombe touche aussi toutes les classes d’âge (...)

Le sujet n’est malheureusement pas nouveau. (...)

Le 25 octobre 2021, Tom est arrivé au travail. Initialement, son rôle était de mettre en carton des volailles découpées. Mais ce jour-là, il lui a été demandé de remplacer au pied levé un salarié absent, et il a été envoyé seul au « frigo carcasses ». Il a dû manipuler des caisses de viande empilées sur plusieurs niveaux, certaines pesant jusqu’à 500 kilos.

« Il n’a pas osé dire non, car il voulait bien faire. On a appris plus tard par un collègue à lui qu’il avait peur de travailler là-bas », raconte sa mère. À 9 h 15, il commence à empiler les caisses avec un gerbeur. Sans formation, sans protection. À 10 h 45, son corps est retrouvé écrasé sous deux caisses. « Personne ne lui a montré ce qu’il devait faire et comment. Ensuite plus personne ne s’est inquiété de savoir comment cela se passait pour lui », lâche sa mère en pleurs.

Selon l’enquête de l’inspection du travail, le gerbeur était défectueux, les charges mal empilées, et l’absence de formation généralisée dans l’entreprise. Tom n’avait ni fiche de poste ni accompagnement. (...)

En mai 2023, l’abattoir a été condamné à 300 000 euros d’amende et à verser 100 000 euros à la famille de Tom. L’ancien directeur a écopé de deux ans de prison avec sursis. (...)

Une population vulnérable

Un constat partagé par Valérie Labatut, responsable de la CGT des agent·es de contrôle de l’inspection du travail : « Les jeunes travailleurs sont une population vulnérable qui va avoir du mal à dénoncer une situation à risque. » Plusieurs éléments définissent, selon elle, cette vulnérabilité : la précarité des contrats, la présence de jeunes de plus en plus tôt en entreprise et sur des durées de plus en plus longues, ainsi qu’un déficit de formation et d’information sur leurs droits et la sécurité.

Pour la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, qui a étudié plus de 200 accidents, c’est toute l’organisation du travail qu’il faut interroger (...)

Cette précarité « empêche l’utilisation du droit de retrait » et entrave les travailleurs et travailleuses qui souhaiteraient s’exprimer sur leurs conditions de travail.

Pour la CGT, la situation ne fait que s’aggraver avec le temps. « Les modifications du Code du travail par les gouvernements successifs n’ont pas arrêté d’affaiblir les droits et protections des salariés, pour faire plaisir au Medef », juge Véronique Labatut. Elle cite par exemple le décret Rebsamen – du nom du ministre du travail sous François Hollande, devenu ministre de l’aménagement du territoire du gouvernement de François Bayrou – qui a supprimé en avril 2015 la visite obligatoire d’un inspecteur du travail avant d’obtenir une dérogation pour faire effectuer des travaux dangereux aux jeunes travailleurs et travailleuses. (...)

Depuis qu’il a commencé son travail de recensement, Matthieu Lépine dit constater un désintérêt persistant du monde politique pour ce sujet où la France est pourtant loin d’être une bonne élève. (...)

En juillet, la ministre (démissionnaire) du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a bien annoncé un plan de lutte. Mais faute de moyens adéquats et de longévité du gouvernement, l’impact de ces mesures devrait rester très limité. (...)