
L’obligation totale du port du masque en crèche et dans les établissements dédiés à la petite enfance, sans demi-mesure ou ajustement, s’annonçait comme catastrophique. C’était sans compter sur l’intelligence des bébés dont on ignore encore tant de choses. Alors, le port du masque chez les adultes s’occupant de très jeunes enfants est-il néfaste à leur bon développement ? La plupart des professionnel·les à qui nous avons posé la question nous rassurent.
Les effets du port du masque face aux bébés sont difficilement quantifiables dans la mesure où un retour des principaux intéressés ne peut se faire autrement que par déduction et analyses comportementales. Le manque de recul face à ce fait nouveau est donc à prendre en compte. Pour obtenir des retours rapides, une équipe de l’Université Grenoble-Alpes a eu l’idée d’interroger 600 professionnels de la petite enfance, s’appuyer sur leurs réponses pour mener l’enquête et obtenir les premières constatations.
Anna Tcherkassof, chercheuse en psychologie sociale sur la communication émotionnelle non verbale, Monique Busquet, psychomotricienne-formatrice, Marie-Hélène Hurtig, puéricultrice-formatrice, et Marie-Paule Thollon-Behar, psychologue et docteure en psychologie du développement signent un compte rendu clair.
Trois grandes lignes se démarquent : les interactions sont plus pauvres, les enfants s’adaptent mais ils sont plus inquiets et sourient moins, les pratiques professionnelles sont impactées et l’accompagnement baisse en qualité. (...)
Le côté ludique facilitant l’apprentissage n’est plus le même, le visage miroir n’existe plus. L’enfant ne réalisera pas les gestes s’il ne les effectue pas en dehors de la crèche, dans son cadre familial non masqué veillant à le stimuler.
L’importance de l’imitation chez les bébés
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik semblait assez pessimiste au début de la crise, cosignant une tribune en mai 2020 dans laquelle plus d’une centaine de médecins, spécialistes, personnel de la petite enfance, entre autres, relevaient de possibles dommages à envisager dans l’avenir pour ces premières victimes du port du masque.
Acceptant de revenir sur le sujet, il nous explique le caractère important de l’imitation : « Si la mère ou l’adulte ouvre la bouche, le bébé ouvre la bouche, ils lui tirent la langue, il tire la langue. Il ne peut pas ne pas imiter parce que la neuro-imagerie montre que ses neurones miroirs déclenchent le même geste du visage que celui qu’il voit. S’il voit un masque, il répondra à toutes les autres informations mais ne répondra pas à celles émises par la bouche. » C’est grâce à l’imitation que les bébés prennent conscience qu’il y a « moi » et « autrui », qu’ils vivent donc en société. Ce caractère dit « janiforme de l’imitation » a en particulier été étudié par le psychologue américain Andrew N. Meltzoff. (...)
Au visage souriant et joueur de la mère, l’enfant répond par des jeux et cette même envie de sourire. Si le visage de la mère se fige pendant quelques minutes, l’enfant ne comprend pas, stresse, s’agite, cherche dans l’expression de la mère de quoi se rassurer et retourner à la situation gaie et de jeux précédente. (...)
Nadia Bruschweiler-Stern concède le manque de recul encore nécessaire à des retours concrets, mais elle déplore le peu d’intérêt qu’ont suscité les bébés en prévision de possibles manques dans l’acquisition du langage ou le développement, liés aux adultes masqués. Des dommages qui ne seront donc visibles que lorsque les enfants seront suffisamment grands. « Le bain d’expressions humaines, c’est à la fois le guide de ses apprentissages et le régulateur de ses émotions. Le port du masque peut donc avoir des conséquences importantes », nous dit-elle.
Pour elle, un masque transparent et un accueil des enfants en crèche par des professionnels non masqués en maintenant une distance suffisante auraient pu être des solutions mises en place, afin de prévenir d’éventuelles séquelles. Mais malgré tous les signaux qui laissaient présager le pire, les bébés se révèlent bien plus adaptatifs que prévu, à plus forte raison quand ils sont entourés de parents présents et alertes.
Un être intelligent longtemps ignoré
Les parents occupent un rôle majeur dans cette période, ils incarnent une continuité fondamentale à ne pas négliger. Aujourd’hui, Boris Cyrulnik semble plus optimiste (...)
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Selon le psychiatre Boris Cyrulnik, le port du masque en présence des tout-petits, obligatoire même en crèche, provoquerait un retard de l’acquisition du langage et de la sociabilité des bébés.
le psychiatre Boris Cyrulnik fait part de ses inquiétudes et de celles de psychologues concernant le port du masque par les adultes dans les crèches. Il évoque une étude chinoise publiée en juin 2020 sur les effets délétères de la pandémie de SRAS de 2003 sur le développement des enfants âgés de 0 à 15 ans. Ses résultats sont édifiants. L’étude révèle "des retards langagiers, moteurs et sociaux notables, et même une réduction des courbes de poids, en particulier chez les plus jeunes enfants (moins de 4 ans)". "Il est plausible que des impacts sur la croissance de l’enfant et le développement cognitif et physiologique puissent survenir", ajoutent les auteurs de cette étude. Boris Cyrulnik cite aussi une autre étude publiée en janvier dernier par l’université de Grenoble et menée auprès de 600 professionnels de la petite enfance concernant le port du masque. Elle révèle "des interactions langagières plus pauvres" mais aussi "des attitudes socioaffectives altérées : pleurs, anxiété et tentatives de retirer le masque de l’adulte ou au contraire des réactions de peur face au visage démasqué, et des difficultés à déclencher le sourire réponse". Face à ce constat inquiétant, Boris Cyrulnik et ses collègues psychologues proposent 4 mesures urgentes :
- Un accès à la vaccination prioritaire des personnels de la petite enfance, au même titre que les personnels de santé,
- L’organisation de moments sans masque, en maintenant une distance de sécurité, dans les espaces extérieurs.
- L’organisation de moments sans masque à l’intérieur lorsque l’adulte est seul avec un enfant.
- La séparation physique des professionnelles dès que c’est possible.