
Une douzaine d’anciens élèves de l’établissement d’enseignement privé catholique Le Kreisker à Saint-Pol-de-Léon (29) dénoncent des violences physiques et sexuelles qui auraient été commises dans les années 1950 à 1980 par des membres du corps enseignant de cette institution réputée.
Un abbé accusé de violences sexuelles
Plusieurs anciens élèves mettent en cause l’ancien professeur de français et breton pour des propos et attitudes inappropriées à caractère sexuel, des années 1950 aux années 1980.
Il aurait ainsi eu la manie d’interroger les élèves – qu’il pouvait recevoir individuellement dans sa chambre située à l’étage du bâtiment principal du Kreisker – sur leurs pratiques masturbatoires. Il pouvait, affirme Lionel, élève dans les années 1970, se montrer « très tactile », passant parfois « sa main sous le pull » des élèves. (...)
Les agissements de Jacques Choquer sont décrits par le menu dans le livre Tu rôtiras en enfer, publié en 2016 et écrit par Jean-Pierre Salou, un éducateur spécialisé et psychologue à la retraite ayant fréquenté le Kreisker, de 1957 à 1964. Le prêtre y apparaît sous le pseudo « l’abbé C. ». « Son surnom parmi les élèves, c’était Chocul (orthographe interprétée par Splann !, NDLR) », révèle l’auteur, aujourd’hui âgé de 77 ans. Preuve selon lui que son comportement était de « notoriété publique ».
« C’était un pervers qui jouissait que vous lui racontiez vos ‘péchés de chair’ ». Sauf qu’il n’était pas mandaté pour des cours d’éducation sexuelle. » Jean-Pierre Salou juge que « ce qui est grave, c’est qu’on a donné à ce prêtre l’aumônerie de la troupe scout du Kreisker alors qu’on connaissait ses problèmes avec les élèves […].
En fonction depuis 2022, le directeur de l’ensemble scolaire Le Kreisker, Nicolas Guillou, confirme avoir reçu un témoignage, il y a quelques semaines, concernant Jacques Choquer. Il dit en avoir été « profondément touché » : « Il est toujours bouleversant, en tant que chef d’établissement, d’apprendre que certains faits ont pu survenir dans un lieu dont la vocation première est d’éduquer, d’accompagner et de protéger les jeunes. »
Le directeur précise : « En dehors de ce contact, je n’ai reçu aucun autre signalement d’anciens élèves ou de familles, ni par écrit ni de vive voix, concernant des faits de violences. » Le diocèse de Quimper et Léon a, lui aussi, reçu en 2022, « le témoignage de l’épouse d’une victime aujourd’hui décédée, relatif à des violences sexuelles concernant le collège du Kreisker », impliquant Jacques Choquer.
L’institution indique n’avoir rien trouvé « dans les archives » concernant ce prêtre. (...)
Des violences physiques institutionnalisées ?
Si les violences sexuelles sont reprochées à un seul enseignant du Kreisker, les violences physiques, elles, auraient été commises par plusieurs professeurs, assurent les anciens élèves interrogés par Splann !.
Jacques Urien se rappelle de « corrections » et « d’humiliations » de la part d’un surveillant, d’enfants balancés dans des « grandes poubelles d’un mètre sur un mètre » et rossés de coups pour avoir couru pour se rendre en cours – ce qui était interdit – et même d’un élève qui aurait eu le doigt cassé, sans doute après une punition physique non maîtrisée. Atteint de troubles dys – ce qu’il n’a compris que des années plus tard – Jacques Urien évoque des états de « faiblesse » ou « d’incompréhension » en lien avec ses apprentissages.
Il aurait appris à ses dépens qu’au Kreisker, les punitions physiques ne venaient pas seulement corriger de mauvais comportements. « On recevait aussi des coups quand on était en difficulté », affirme-t-il. (...)
Yannick Dirou utilise le mot « terrorisme ». Trois autres anciens élèves emploient le même terme, pourtant lourd de signification. (...)
Quasiment tous les anciens élèves indiquent que la répression au Kreisker n’était pas la même en fonction de l’origine sociale. « Il y avait une discrimination notoire entre les enfants des milieux populaires et ceux des milieux aisés », affirme Thierry Oulhen. (...)
Pourtant, dans le Léon, « terre catholique par excellence », « le Kreisker, c’était la référence ! », formule-t-elle. « À Saint-Pol, à l’époque, même ceux qui n’avaient pas de croyance y allaient. Tout le monde y allait. » La fréquence et le niveau de violences dont elle aurait été témoin la porte à parler de « violences institutionnalisées ». (...)
« Raclées »
Les baffes ou gifles n’étaient toutefois qu’un type de punition physique utilisé par les professeurs de l’époque. Et comme le font remarquer plusieurs anciens élèves, « il y a ‘gifles’ et ‘gifles’ ».
Jean-Claude Rohel, enseignant au Kreisker, devenu par la suite maire de Plouénan et député Républicains indépendants du Finistère, est identifié par plusieurs anciens élèves comme ayant eu l’habitude de retourner sa chevalière à l’intérieur de sa main avant de gifler les élèves, occasionnant fatalement des marques et des douleurs plus importantes. Un autre enseignant, du nom de « Sparfel », aurait utilisé la même méthode.
Un autre professeur, déjà cité plus haut, a marqué plusieurs générations d’élèves : André Guéguen. Celui-ci est cité par près d’une dizaine d’anciens élèves interrogés par Splann ! comme étant l’auteur de nombreuses violences physiques. (...)
Si aucune des victimes n’a porté plainte jusqu’alors à l’encontre d’André Guéguen, c’est parce que pendant longtemps, ses violences ont été considérées comme légitimes par leur entourage. « On disait pas trop à nos parents parce que ç’aurait été notre faute », explique Yannick Dirou. « J’ai toujours entendu dire ‘si t’en as pris, c’est que t’as mérité’ », appuie Lionel Devaux, une autre victime d’André Guéguen, âgé de 60 ans aujourd’hui. Pour beaucoup, la prise de conscience du caractère anormal de ces violences n’est intervenu que très récemment. « Ça m’a sauté à la gueule quand l’affaire Bétharram est sortie », ajoute l’ancien pensionnaire du Kreisker. (...)
Pour Jacques Urien, le fils de maraîchers, il ne s’agit pas d’incriminer uniquement des personnes, il faut dénoncer un système. « Tout le monde était coupable. Même s’il y en avait deux qui donnaient des coups et dix qui ne disaient rien, ils étaient tous coupables, dénonce-t-il. Car tout le monde savait : la direction, le personnel, les infirmiers, les médecins… »
Reconnaissance des violences
De l’avis de plusieurs anciens élèves, les violences ont commencé à diminuer fortement avec le passage à la mixité, au milieu des années 1980.