Bruno Le Maire a confié au patron de l’institution publique le soin d’assurer son propre intérim. Une décision qui semble déroger au Code monétaire et financier. Plaçant ses fidèles aux postes clés, Emmanuel Macron est aussi un président désinvolte qui laisse se multiplier ces situations d’intérim.
Tout juste paru au Journal officiel, c’est un arrêté surprenant que le ministre de l’économie Bruno Le Maire vient de prendre pour tracer l’avenir, à court terme, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Il charge en effet le directeur général sortant, Éric Lombard, dont le mandat est arrivé à échéance le 7 décembre, d’assurer son propre intérim. Le temps que le même Éric Lombard, proposé le soir du 8 décembre par le chef de l’État pour un second mandat, soit entendu et adoubé par les commissions parlementaires compétentes.
L’arrêté paraît pourtant contrevenir à une disposition du Code monétaire et financier. Par surcroît, la disposition risque de plonger la plus puissante institution financière publique dans la crise, car elle ne dispose plus d’un patron légitime, par un caprice du chef de l’État qui n’a pas fait connaître ses intentions à temps, alors qu’il avait tout loisir de le faire depuis de longs mois. (...)
Or, à la suite de la réforme de la gouvernance de la CDC décidée par la loi Pacte et mise en application par un décret du 20 novembre 2019, le Code monétaire et financier a été modifié et dispose désormais ceci en son article R518-11 : « En cas d’absence ou d’empêchement du directeur général ou de vacance de l’emploi, son intérim est assuré par le directeur général délégué désigné à cet effet par arrêté du ministre chargé de l’économie publié au Journal officiel de la République française. »
Selon un ancien membre du Conseil d’État expert en cette matière, avec qui Mediapart a échangé, l’intérim de Didier Lombard ne serait donc pas conforme au droit, puisque seul le directeur général délégué en fonction, en l’occurrence Olivier Sichel, aurait pu en être chargé. Bruno Le Maire n’a pas même pu sauver les apparences en désignant Éric Lombard directeur général délégué, car, toujours selon le Code monétaire et financier, seul le patron en titre de la CDC a le pouvoir de désigner des directeurs généraux délégués.
Mediapart a demandé à Éric Lombard lui-même si le choix de sa personne pour assurer son propre intérim ne contrevenait pas à l’article R518-11 du Code monétaire et financier. Ce dernier nous a fait apporter cette réponse : « Le président de la République a proposé de renouveler Éric Lombard dans son mandat. Les auditions par les commissions compétentes sont en train d’être organisées. Dans cette perspective de continuité de service, l’arrêté du ministre de l’économie et des finances le désigne logiquement comme intérimaire sur le poste qu’il occupe. »
En résumé, le patron sortant de la CDC ne répond pas à la question de droit que nous lui avions posée mais se place sur le terrain de la logique. Nous avons aussi interrogé en ce sens, la veille de la décision, le chargé de communication de Bruno Le Maire mais n’avons obtenu aucune réponse. (...)
L’intérim devrait durer plusieurs semaines (...)
La procédure prévoit qu’une fois que le nom de la personne envisagée est connu, les commissions des finances de chacune des assemblées, après un délai incompressible de huit jours, doivent se réunir pour auditionner le candidat puis émettre un vote.
Si le total des votes défavorables émis par les membres des commissions n’excède pas trois cinquièmes des suffrages exprimés, cette nomination peut alors intervenir au conseil des ministres suivant. Autant dire, compte tenu de la période de suspension des travaux parlementaires de fin d’année, du 19 décembre au 8 janvier, que celle-ci a peu de chance d’être effective avant l’année prochaine.
L’intérim pourrait donc durer plusieurs semaines, une situation susceptible de déstabiliser la CDC, puisque toutes les décisions du patron intérimaire, à la CDC comme dans ses innombrables filiales, pourraient être frappées de nullité si des recours étaient intentés, par exemple par les syndicats concernés. Les décisions de ses subordonnés, prises par délégation du patron intérimaire, le seraient tout autant.
Désinvolture présidentielle (...)
Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de l’Union des syndicats CGT du groupe CDC, dit sa consternation : « Cette nouvelle manœuvre s’inscrit comme une étape supplémentaire dans le processus de banalisation de la Caisse des dépôts et d’affaiblissement, voire de déstabilisation de sa gouvernance. »
Il rappelle « les honteuses manœuvres » qui selon lui « ont abouti cet été à la désignation des nouveaux représentants du Parlement à la commission de surveillance et à l’éviction de tout représentant de l’opposition de gauche ».
« Voilà maintenant que l’Élysée, qui pourtant avait cinq ans pour proposer un nouveau nom ou reconduire le directeur général actuel, trouve le moyen de laisser passer l’échéance, souligne le syndicaliste. On voudrait affaiblir définitivement la dernière institution économique et financière publique du pays qu’on ne s’y prendrait pas autrement. » (...)
Les intérims se multiplient
La CDC est loin d’être la seule victime de l’attentisme présidentiel. On peut relever de nombreux autres cas de vacance ou d’intérim depuis l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée. (...)
Le domaine dans lequel Emmanuel Macron se surpasse dans sa négligence souveraine des règles de nomination est le domaine culturel. (...)
dans les institutions de la Ve République, celles du « coup d’État permanent », le chef de l’État dispose d’un pouvoir exorbitant de nomination. Et ce pouvoir est sans limites puisqu’il va jusqu’au pouvoir… de ne rien décider du tout. Quitte à ce que la République et ses grandes institutions aillent de travers.