Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Le combat de Claire, bergère qui ne trouve pas de terres
Article mis en ligne le 8 juillet 2022

Dans le Jura, Claire Guyon voit son installation dans un alpage contestée en justice. Ces galères pour trouver des terres sont communes à nombre de paysans. Certains baissent les bras. Claire, elle, se bat.

(...) L’éleveuse de 33 ans est montée s’installer ici début mai. Depuis, elle vit sommairement dans le chalet de la Boivine, entourée de ses vaches et cochons, et vend déjà quelques produits sur place. Mais elle n’est pas encore officiellement chez elle : deux communes contestent devant le tribunal [1] le choix de la Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de vendre ces 52 hectares d’alpage à Claire. (...)

« On parle bien d’un “parcours” d’installation, pas d’un “chemin” », ironise Claire. Son parcours à elle, comme celui de beaucoup de jeunes agriculteurs, a été semé d’embûches. Et ce n’est pas fini. Durant trois ans, la jeune éleveuse a essuyé plusieurs refus à ses demandes d’acquisition ou de location de terres. En septembre 2020, elle pensait avoir trouvé l’endroit idéal avec la Boivine, sur la commune de Rochejean, dans le Haut-Doubs. Le propriétaire de cet alpage a missionné la Safer pour le vendre. Plusieurs communes, dont celles de Rochejean, et sa voisine, Labergement-Sainte-Marie, ont manifesté leur intérêt pour acquérir ces terres. Claire, qui avait conscience de son faible poids face à des collectivités, a proposé un partenariat à Rochejean. Sans réponse ferme de la part du maire, Claire a déposé une candidature individuelle. Sauf que, en parallèle et sans en informer la principale intéressée, la commune de Rochejean a inclus le projet d’agriculture biologique en transhumance et de vente directe de Claire dans son propre dossier. Séduite, la Safer a choisi la municipalité de Rochejean sous cette condition implicite : la commune devra, comme elle l’a proposé dans sa candidature, permettre à Claire de s’installer dans l’alpage.

Les deux municipalités évincées dénoncent notamment des vices de procédure (...)

Quelles que soient les raisons de ce revirement, la Safer est revenue elle aussi sur sa décision : la candidature de Rochejean ne répondant plus à ses critères (« favoriser l’installation de jeunes agriculteurs et la transmission d’exploitations agricoles »), elle a annulé la vente à la commune de Rochejean début 2021 et décidé d’attribuer l’alpage à Claire.

À Rochejean, la décision n’est pas passée. Les recours gracieux se sont enchaînés, faisant traîner la vente. (...)

Les maires affirment pourtant toujours « soutenir le projet de Claire ». « Mais nous sommes obligés, en tant qu’élus, de saisir le tribunal, pour faire respecter la loi et ainsi lever les ambiguïtés et valider l’attribution [sic] de l’alpage à Claire », a expliqué curieusement Éric Penzes, le maire de Rochejean, lors d’une conférence de presse organisée début mai. Une position officielle qui contraste avec les propos tenus dans l’assignation en justice et dans les échanges avec la Safer : dans une lettre adressée à la société de gestion du foncier agricole, Éric Penzes qualifiait le projet de Claire de « précaire », et évoquait une « sous exploitation par une jeune agricultrice ne disposant que de quatre vaches ! » Des attaques que Claire juge personnelles : « Si, comme ils le prétendent, c’est la Safer qui a mal fait son travail, pourquoi ne pas l’assigner uniquement elle », s’interroge-t-elle, convoquée en son nom elle aussi devant le tribunal. (...)

« Le parcours de Claire pour accéder à des terres n’est pas atypique du tout », explique Ferjeux Courgey, du mouvement Solidarité paysans. « Ce qui est plus rare, c’est que, elle, elle en veut, elle s’accroche ! » Un rapport du ministère de l’Agriculture publié en janvier dernier souligne les « difficultés d’accès au foncier » « de plus en plus fréquentes » des jeunes qui souhaitent s’installer comme exploitants agricoles. Nombreux sont ceux qui finissent par abandonner leur projet, faute de trouver où l’implanter. (...)

Paul Kister, éleveur ovin dans le Doubs proche de la Confédération paysanne, dénonce un « manque de transparence » dans l’attribution des terres : « C’est un système d’entre-soi. L’information sur les terres en vente ne circule pas. » Laurence Lyonnais, paysanne dans le Doubs appartenant au même syndicat, évoque même un « circuit parallèle d’attribution » des terres, à travers les « commissions cantonales des structures ». C’est souvent dans ces groupes informels, composés principalement de représentants de la profession agricole issus des syndicats majoritaires (FNSEA et Jeunes Agriculteurs), que se décide la répartition des terres à remettre. Cette répartition prend alors une forme de « clientélisme local », qui favorise l’agrandissement des gros exploitants déjà en place, déplore la Confédération paysanne. (...)