
Interview de Bianca Cendrine Bastiani par Francine Sporenda
FS : Dans votre livre, vous racontez que vous êtes entrée dans le porno à cause d’un homme, que vous avez rencontré à 17 ans, animée d’un désir de sortir de votre milieu d’origine, de prendre une revanche sociale. Vous avez rencontré d’autres actrices pornos. Qui sont-elles ? De quel milieu viennent-elles ? Quel est leur parcours de vie, d’après ce que vous avez pu en savoir ?
BB : J’ai effectivement rencontré Lionel lorsque j’avais 17 ans. Il était mon aîné de 7 ans. Je suis issue d’un milieu bourgeois catholique. Mes parents me surprotégeaient. J’avais souffert depuis mon plus jeune âge de harcèlement scolaire car j’étais timide et introvertie. En pleine crise d’adolescence, j’étais très révoltée à l’époque surtout envers ma mère à laquelle je m’opposais sans cesse. Lui avait tout du « bad boy », tout pour lui déplaire. Je suis donc sortie avec cet homme pour la défier au départ. Ensuite, j’en suis tombée éperdument amoureuse et l’emprise s’est installée.
J’ai rencontré de nombreuses actrices pornos. Je vous cite quelques exemples marquants. (...)
Les actrices des pays de l’Est comme Tania Russof qui « travaillait » pour Marc Dorcel à l’époque. Francis disait de ces filles-là, je cite « Dans leur pays d’origine, elles n’ont même pas de quoi se payer un lacet de chaussure. C’est une aubaine ! On peut tout leur demander pour du fric. Elles ne reculent devant rien. » alors qu’il s’apprêtait à tourner une scène avec l’une d’entre elles.
Sam, une fille très jeune (je me demande même si elle était majeure à l’époque des faits) a été exploitée par le couple Murier. Complètement paumée, elle était issue d’un milieu que l’on qualifierait de « cassos » de nos jours. Elle m’avait confié avoir été dégoûtée par les méthodes des Murier. (...)
BB : Dans ce milieu les hommes sont très misogynes. Pour eux, les femmes ne sont que des marchandises. Comme j’étais surtout dans la pornographie sadomasochiste, je peux vous dire que la violence est omniprésente. Le mot violence me semble même faible pour décrire la réalité. Je préfère parler de torture. Dans ce monde-là, les mâles sont non seulement machos mais très pervers. Pour moi, ce sont des malades ! Ils considèrent les actrices comme de vulgaires objets. Plus vous souffrez, plus c’est vendeur. Plus les scènes sont dégradantes et humiliantes, meilleur c’est pour les films.
J’ai même entendu parler de « snuff-movies », des films où l’actrice serait mise à mort pour le final. C’est le sort réservé aux filles récalcitrantes, celles qui ne veulent pas rentrer dans le moule, celles qui sont en fin de carrière et ont déjà tout donné. Ce sont des rumeurs qui circulent dans le milieu. J’en ai été menacée alors que je n’étais pratiquement plus bonne à rien… pas explicitement bien entendu… Des filles disparaissent, des SDF, celles qui n’ont aucune famille, dont personne ne se préoccupera. Vous voyez à quel point ce milieu peut être violent. (...)
En ce qui concerne les clients, on voit de tout. Toutes les classes sociales, majoritairement plus âgés que moi à l’époque des faits. Ça va du médecin à l’avocat et beaucoup de cadres dynamiques. Des hommes mariés pour la plupart qui vous saoulent avec leurs problèmes de couple… Ils viennent chercher ce que leur femme refuse de leur donner. (...)
En fait, c’est douloureux pour moi de me souvenir des clients. Je les détestais… Je les méprisais même. Ils me dégoûtaient. Certains voulaient négocier les prix. Les pires, ceux qui m’horripilaient le plus, c’étaient ceux qui voulaient des rapports sans préservatifs. Ils étaient même prêts à payer plus cher. Je n’ai jamais cédé, raison pour laquelle je n’ai pas attrapé le SIDA. (...)
Comment expliquez-vous que ces tortures qui seraient punies par la loi si pratiquées pour des raisons politiques sur des hommes soient complètement banalisées et acceptées dès lors qu’il s’agit de femmes dans le porno ?
BB : Je ne me l’explique pas. Il y a un grand laxisme, pour ne pas dire une immense hypocrisie de la part des pouvoirs publics. J’ai l’impression que tout le monde s’en fiche. L’industrie de la pornographie brasse des milliards. (...)
Au sujet de ma santé mentale et psychique, pour supporter tout ça, je suis devenue complètement dissociée. J’ai souffert de stress post-traumatique. (...)
Si de telles tortures étaient infligées à des mâles, l’opinion publique s’insurgerait comme on l’a vu avec les prisonniers de Guantanamo. Mais pour les femmes du porno, l’on considère qu’elles sont consentantes. Après tout, c’est leur métier, si l’on peut le qualifier ainsi… (...)
Un jour, Lionel a failli me tuer. Ce fut le déclic. À partir de ce moment-là, j’ai cherché comment m’enfuir… (...)
Le porno n’est rien d’autre que de la prostitution filmée. Les deux sont à abolir et je suis d’ailleurs une fervente abolitionniste. Dans un monde idéal, aucun des deux ne devrait exister même si cela paraît utopique.
Il faut lire « Cendrillon du trottoir » pour ouvrir les yeux sur ces problématiques.
